Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
Vom Netzwerk:
l’échine courbée sous de lourdes charges, souvent sans armes, ils marchaient parmi les ruines du convoi, dans la puanteur croissante des chevaux morts, ils avaient dépassé le stade de la colère. Ils se traînaient vers l’est, leurs yeux mornes fixés sur le ciel dangereux et clair, marchant comme des bêtes mourantes, sans raison, sans espoir, vers l’abri ultime où ils pourraient se coucher et mourir. Quelques-uns d’entre eux, avec une folle avarice, à travers le chaos de la défaite et de la mort, transportaient encore du butin dans leurs sacs. Un homme tenait un violon, dérobé dans le salon de quel mélomane ? Une paire de chandeliers d’argent sortait à demi du sac d’un autre soldat, preuve muette qu’au fond même de son agonie l’homme croyait encore en un avenir de dîners, de nappes blanches et de lumières douces. Un type énorme, aux yeux rouges, aux cheveux blonds agglomérés par la poussière et la sueur, transportait dans son sac une douzaine de camemberts. C’était un homme puissant, qui marchait d’un pas régulier et ferme, et, lorsqu’il dépassa Christian, la senteur mûre des fromages en tram de fermenter fit un écœurant mariage avec l’odeur violente du convoi.
    À la tête du convoi se trouvait une grosse charrette, sur laquelle avait été monté un canon antiaérien de quatre-vingt-huit millimètres. Les chevaux étaient morts attelés, dans des attitudes effrayantes de galop et de terreur. Le canon et son affût étaient recouverts de leur sang, mêlé, peut-être, à du sang d’homme. L’armée allemande, pensa machinalement Christian, des chevaux contre des avions ! En Afrique, quand il avait battu en retraite, il l’avait au moins fait avec l’aide de moteurs. Il se remémora la motocyclette de Hardenburg, la voiture d’état-major italienne, l’avion sanitaire qui, par-dessus la Méditerranée, l’avait transporté en Italie. Le destin de l’armée allemande, à mesure que se déroulait la guerre, semblait être de retourner à des méthodes de plus en plus primitives de combat. À des ersatz. Ersatz de carburant, ersatz de café, ersatz de sang, ersatz de soldats…
    Il l’avait l’impression d’avoir battu en retraite toute sa vie. Il ne se souvenait plus d’avoir jamais avancé nulle part. La retraite était sa condition, le climat général de son existence. Reculer, reculer, toujours au prix des mêmes souffrances, toujours épuisé, toujours avec l’odeur des Allemands morts dans les narines, toujours sous la menace des avions ennemis, dont les canons et les mitrailleuses viraient, infatigables, dans l’épaisseur des ailes, dont les pilotes souriaient, sans doute, parce qu’ils étaient en sécurité et qu’ils tuaient des centaines d’hommes par minute.
    Un klaxon résonna derrière lui, impérieux, et Christian se rangea sur le bas-côté de la route. Une petite voiture fermée passa en trombe, le saupoudrant d’un fin nuage de poussière. Christian aperçut, au passage, deux ou trois faces glabres, un énorme cigare…
    Et puis, quelqu’un hurla, un grondement de moteurs naquit au-dessus de sa tête. Christian quitta la route et plongea dans l’un des trous soigneusement espacés, creusés par l’armée allemande le long de nombreuses routes françaises, en prévision de telles éventualités. Il s’accroupit dans la terre humide, protégea sa tête de ses bras, n’osant pas regarder, écoutant le gémissement des moteurs, la sauvage déchirure des mitrailleuses. Après un aller, un retour, les avions s’éloignèrent. Christian se releva, sortit de son trou. Aucun des hommes en compagnie desquels il avait marché n’avait été blessé, mais la petite voiture gisait, retournée, contre un arbre, et flambait. Deux de ses occupants avaient été projetés à travers une portière et gisaient, immobiles, au centre de la route. Les deux autres brûlaient, dans un brasier puant d’essence répandue, de caoutchouc et de tapisserie lacérée.
    Christian avança lentement jusqu’à l’endroit où les deux hommes gisaient sur la route. Il n’eut pas besoin de les toucher pour constater qu’ils étaient morts.
    –  Des officiers ! dit une voix derrière lui. Ils voulaient aller plus vite que les autres.
    L’homme qui venait de parler cracha.
    Tous les autres passèrent tranquillement entre les deux cadavres et l’auto incendiée. Christian faillit ordonner à quelques-uns d’entre eux de l’aider à déplacer les

Weitere Kostenlose Bücher