Le Bal Des Maudits - T 2
lui reproche-t-on ? demanda Michael.
– Il a fait l’imbécile à un bal de la Croix-Rouge, dit le chapelain. Il a pissé sur le plancher au beau milieu d’une danse.
Michael sourit.
– Conduite indigne d’un officier, a dit le colonel, continua le chapelain en oubliant dangereusement de regarder la route. Le pauvre garçon était ivre, et je ne sais pas ce qui lui a pris. Je m’intéresse personnellement à son affaire. J’ai entretenu une longue correspondance avec l’officier qui assumera sa défense, un garçon de valeur, un épiscopalien qui était avocat à Portland avant la guerre. Et le colonel sait qu’il ne m’empêchera pas de dire ce que j’ai à dire. Vous vous rendez compte, s’écria-t-il soudain, indigné, le colonel Button est le dernier homme au monde qui puisse se permettre de poursuivre un homme pour un tel motif. Je parlerai à la cour de ce qu’à fait le colonel lui-même au cours d’un bal donné à Dallas, chez nous, au cœur des États-U nis d’Amérique entouré de femmes américaines. Vous ne le croirez peut-être pas, mais le colonel Button, en uniforme de parade, a pissé dans le pot d’une plante verte, dans la salle de bal d’un hôtel de la ville. Je l’ai vu de mes propres yeux. Mais, comme c’était un officier de haut grade, personne d’entre nous n’a rien dit. Mais la cour va entendre cette histoire, aujourd’hui, c’est moi qui vous le dis !
Il se mit à pleuvoir. Des rideaux de pluie glissèrent sur les vieilles tranchées et les poteaux de bois pourris qui avaient supporté les barbelés, en 1917. Le chapelain ralentit. Noah, qui était assis sur le siège de devant, actionna l’essuie-glace à main, pour éclaircir le pare-brise brouillé. Ils dépassèrent un petit carré de terrain entouré d’une palissade, où dix Français avaient été enterrés en 1940, au cours de la retraite. Il y avait des fleurs artificielles sur quelques-unes de ces tombes et une petite statue d’un saint, sous une cloche de verre, sur un piédestal de bois gris. Michael effleura, sans l’approfondir, un excellent sujet de méditation, sur le chevauchement des guerres dans le temps.
Le chapelain stoppa brusquement la jeep et recula vers le petit cimetière français.
– Voilà qui va faire une intéressante photographie pour mon album, dit le chapelain. Mettez-vous ici tous les deux, un peu sur la gauche…
Michael et Noah sautèrent sur la route et posèrent devant le petit cimetière. « Pierre Sorel, lut Michael sur l’une des croix. Soldat, première classe, né 1921, mort 1940. » Les feuilles de laurier artificielles et le ruban foncé qui les entourait avaient mêlé leurs teintes en zébrures vertes et noires, sous les longues pluies et le soleil brûlant des années 1940 à 1944.
– J’ai plus de mille photos prises depuis le début de la guerre, dit le chapelain en maniant amoureusement une caméra Leica scintillante. Le tout constituera un document très intéressant. Un peu plus à gauche, s’il vous plaît. Là, c’est cela. – Il y eut un déclic. – Cette petite caméra est extraordinaire, dit fièrement le chapelain. Elle prend des photos parfaites sous n’importe quelle lumière. Je l’ai achetée à un prisonnier allemand pour deux cartouches de cigarettes. Il n’y a que les Fritz pour fabriquer de bons appareils photographiques. Ils ont la pratique qui nous manque. Et maintenant, les enfants, vous allez me donner les adresses de vos familles, aux États-Unis. J’en ferai deux épreuves supplémentaires et les leur enverrai pour leur montrer à quel point vous êtes en bonne santé.
Noah donna au chapelain l’adresse de Hope, aux bons soins de son père, dans le Vermont. Le chapelain la nota soigneusement dans un calepin à couverture de cuir ornée d’une croix.
– Ne vous en faites pas pour moi, dit Michael.
Il ne désirait pas que ses parents reçoivent cette photographie de leur fils, maigre et fatigué, dans son peu seyant uniforme, devant le petit cimetière des dix jeunes Français perdus.
– Je ne veux pas vous ennuyer, mon…
– Pas du tout, pas du tout, coupa le chapelain. Il y a certainement quelqu’un qui serait très heureux de recevoir votre photographie. Vous seriez étonné si je vous montrais toutes les gentilles lettres que j’ai reçues de gens auxquels j’avais envoyé la photo de leur fils ou de leur mari. Vous êtes un jeune homme intelligent et bien de sa personne. Il y a
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