Le Bal Des Maudits - T 2
église de Normandie, que notre artillerie avait quelque peu endommagée, je l’ai fait transférer sur le terrain, pour mes services du dimanche, et j’ai demandé un organiste. Le seul organiste du groupe était un sergent armurier. C’était un Italien, un catholique romain, mais il jouait de l’harmonium comme Horowitz joue du piano. J’ai trouvé un nègre pour lui faire marcher le soufflet, et, le premier dimanche, nous avons eu la meilleure messe que j’aie jamais dite. Même le colonel y assistait, et il a chanté les cantiques comme une grenouille au printemps, et tout le monde était enchanté de l’innovation. Eh bien, lieutenant, le dimanche suivant, mon Italien ne s’est pas présenté, et, lorsque je l’ai trouvé, l’après-midi, et que je lui ai demandé pourquoi il n’était pas venu, il m’a répondu qu’il avait interrogé sa conscience et qu’il ne pouvait plus jouer des cantiques pour les rites religieux des hérétiques. Francis O’Brien, vous êtes un officier et un catholique romain. Croyez-vous que ce sergent armurier ait fait preuve, en la circonstance, d’un véritable esprit chrétien ?
Le pilote de planeur soupira. Il était évident qu’il ne s’estimait pas en état, pour l’instant, de porter des jugements sur d’aussi graves questions de doctrine.
– Tout cela, commença-t-il, est une affaire de conscience individuelle…
– Vous n’auriez pas joué de l’harmonium pour moi ? l’accusa le chapelain.
– Oh, si ! mon capitaine, dit le lieutenant.
– Jouez-vous de l’harmonium ?
– Non, mon capitaine, dit le lieutenant.
– Et voilà, triompha le chapelain. Ce Macaroni était le seul du groupe qui sache jouer de l’harmonium. Depuis, j’ai dit tous mes services sans musique.
Ils roulèrent un long moment sans parler, entre les vergers et les vestiges des guerres passées.
– Lieutenant O’Brien, dit Michael, fasciné, vous ne me répondrez que si vous le désirez, mais comment êtes-vous revenu de Hollande ?
– Je peux bien vous le raconter, dit Francis O’Brien. Mon aile droite était en train de se désagréger, et j’ai signalé à l’appareil remorqueur que j’allais décrocher. J’ai atterri dans un champ, durement, et, le temps que je me tire du planeur, tous les hommes que je portais s’étaient éparpillés, parce que nous étions mitraillés d’un groupe de fermes situé à un kilomètre environ. J’ai couru aussi vite que j’ai pu, et j’ai jeté mes ailes, parce que les gens ne sont pas toujours gentils avec les aviateurs, quand ils les attrapent. Vous savez, avec tous les bombardements, toutes les erreurs, tous les civils massacrés, il vaut mieux ne pas être surpris avec des ailes sur son uniforme. Je suis resté trois jours dans un fossé, et puis un fermier m’a apporté de quoi manger et m’a conduit, la nuit suivante, jusqu’à une unité de reconnaissance britannique. Ils m’ont renvoyé vers l’arrière, et j’ai pu embarquer sur un destroyer américain. C’est là que j’ai récolté cette vareuse. Le destroyer a louvoyé dans la Manche pendant deux semaines. Seigneur ! je n’ai jamais été aussi malade de mon existence. Finalement, ils m’ont déposé à Southampton et, de là, j’ai rejoint la base de mon groupe. Mais ils étaient partis depuis une semaine pour la France ! Ils m’avaient porté disparu, et Dieu sait ce que devait endurer ma mère, et tous mes effets avaient été renvoyés aux États-Unis. Personne ne paraissait décidé à me donner des ordres. Un pilote de planeur a plutôt l’air d’empoisonner les gens quand on n’a pas besoin de le lancer nulle part, et personne n’était placé pour me payer ni pour me donner des ordres, et tout le monde s’en foutait éperdument.
O’Brien s’esclaffa, sans la moindre malice :
– J’ai entendu dire que le groupe était par ici, dans les environs de Reims. J’ai trouvé une place dans un liberty-ship qui repartait pour Cherbourg avec des munitions et des rations concentrées. Je me suis accordé deux jours de permission, à Paris, quoiqu’un second lieutenant non payé depuis deux mois ait à peu près autant de chances qu’un macchabée de s’amuser à Paris. Et me voilà…
– Une guerre, dit le chapelain d’un ton officiel, est un problème extrêmement complexe.
– Je ne me plains pas, mon capitaine, dit vivement O’Brien. Du moment qu’ils ne me lancent plus nulle part, je suis aussi
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