Le Bal Des Maudits - T 2
l’impression de se trouver en présence d’un aîné Noah parlait calmement, sans amertume, sans aucune trace de sa violence ancienne, à peine contrôlée, et Michael comprit, soudain, que, si Noah survivait à la guerre, il serait beaucoup mieux équipé que lui-même, Michael, pour les années à venir.
Ils nettoyèrent leurs gamelles, tout en fumant voluptueusement les cigares à cinq cents de leurs rations, marchèrent doucement dans la nuit sombre, vers la tente de Noah.
Il y avait ce soir, au cinéma du camp, une version de seize millimètres de Rita Hayworth, dans Cover Girl, et tous ceux qui partageaient la tente de Noah étaient en train de repaître leurs regards de ses charmes technicolorés. Michael et Noah s’assirent dans la tente vide, sur la couchette de Noah, tirant sur leurs cigares et observant la lente ascension de la fumée dans l’air glacial.
– Je fiche le camp d’ici demain matin, annonça Noah.
– Oh ! dit Michael, détestant soudain l’armée qui ne réunissait deux amis que pour les séparer à nouveau vingt-quatre heures plus tard. Tu as reçu une nouvelle affectation ?
– Non, dit paisiblement Noah. Je fiche le camp, simplement.
Michael tira une longue bouffée de son cigare.
– Tu sautes le mur ? demanda-t-il.
– Oui.
« Seigneur, pensa Michael, en se souvenant du temps passé par Noah en prison, une fois ne lui a donc pas suffi ? Paris ? » demanda-t-il.
– Non. Paris ne m’intéresse pas Noah se pencha et tira de son sac deux paquets de lettres soigneusement ficelés.
– Celles-ci sont de ma femme, dit-il en posant le premier paquet sur le lit. Elle m’écrit tous les jours. Celles-ci… (Il désigna l’autre paquet) de Johnny Burnecker. Il m’écrit dès qu’il a une minute à lui. Et toutes ses lettres finissent par : « Il faut que tu reviennes avec nous. »
– Oh ! dit Michael.
Il retrouva dans sa mémoire l’image d’un grand garçon fortement charpenté, avec des cheveux blonds et un teint de jeune fille.
– Johnny a une idée fixe, dit Noah. Il pense que, si je viens le rejoindre et que nous demeurions ensemble, nous nous en sortirions tous les deux. C’est un type épatant. C’est le meilleur type que j’aie jamais rencontré dans toute mon existence. Il faut que j’aille le retrouver.
– Mais tu n’as pas besoin de déserter le camp, dit Michael. Tu n’as qu’à leur demander de te renvoyer dans ton ancienne compagnie.
– Je l’ai fait, dit Noah. Ce salaud de Péruvien, il m’a dit de lui foutre la paix, qu’il avait autre chose à faire, qu’il n’était pas un bureau de placement et que j’irais où ils m’enverraient. – Noah jonglait distraitement avec les lettres de Johnny Burnecker. – Je m’était rasé, et j’avais repassé mon uniforme, et j’avais bien pris soin de porter mon Étoile d’argent. Ça ne l’a pas impressionné. Alors je vais filer demain de bonne heure, après le petit déjeuner.
– Tu vas te fourrer dans un sale pétrin, dit Michael.
– Non. – Noah secoua la tête. – Il y en a qui le font tous les jours. Hier encore, un capitaine de la 4 e … Il est juste parti avec une musette. Les autres ont mis l’embargo sur tout ce qu’il avait laissé et l’ont vendu aux Français. Du moment que tu n’essaies pas de gagner Paris, les M. P. ne t’empoisonnent pas, si tu te diriges vers le front. Et c’est le lieutenant Green – il est capitaine, à présent, – qui commande la compagnie. C’est un type merveilleux. Il se chargera des formalités après coup. Je suis sûr qu’il sera content de me voir.
– Tu sais où ils sont ? demanda Michael.
– Je les trouverai, répondit Noah. Ce ne sera pas bien difficile.
– Tu n’as pas peur de te créer de gros ennuis ! dit Michael. Après toutes tes histoires, aux États-Unis ?
Noah sourit gentiment.
– Depuis la Normandie, dit-il, rien de ce que pourra me faire l’armée des États-Unis ne me paraîtra réellement ennuyeux.
– Tout de même, tu risques gros, dit Michael.
Noah haussa les épaules.
– Dès que j’ai compris, à l’hôpital, que je ne mourrais pas, dit-il, j’ai écrit à Johnny Burnecker que je reviendrais. Il m’attend.
Il y avait dans la voix de Noah une note définitive, qui repoussait d’avance toutes les contradictions.
– Bonne chance, dit Michael. Mes amitiés aux amis.
– Pourquoi ne viendrais-tu pas avec moi ?
– Quoi ?
–
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