Le Bal Des Maudits - T 2
Viens avec moi, répéta Noah. Tu as beaucoup de chances d’en réchapper si tu es dans une compagnie où tu as de bon copains. Tu ne vois aucun inconvénient à te sortir vivant de la guerre, je suppose ?
– Non. – Michael sourit faiblement. – Non, bien sûr.
Il ne parla pas à Noah des jours où il n’aurait vu aucun inconvénient à ne pas sortir vivant de la guerre, des nuits pluvieuses, en Normandie, où il s’était senti tellement inutile, où la guerre lui avait paru n’être rien de plus qu’un cimetière toujours en train de s’agrandir et dont le seul but était la création de nouveaux cadavres ; ou des jours mornes passés à l’hôpital, en Angleterre, au milieu des mutilations innombrables issues des champs de bataille français, à la merci des infirmières et des médecins efficients et rudes, qui n’avaient même pas voulu lui accorder une seule permission de vingt-quatre heures pour se rendre à Londres et aux yeux desquels il n’avait jamais été un être humain à consoler et à guérir, mais une simple jambe à remettre tant bien que mal en état de fonctionnement, afin que son possesseur puisse être renvoyé au front aussi vite que possible. – Non, dit, Michael. Je ne vois aucun inconvénient à me sortir vivant de la guerre. Bien qu’à vrai dire j’aie parfois le sentiment que, cinq ans après la guerre, nous repenserons tous avec regret aux balles qui nous auront manqués.
– Pas moi, dit sauvagement Noah. Pas moi, non. Je n’éprouverai jamais ce sentiment.
– Bien sûr, dit Michael, la conscience coupable. Je suis navré de l’avoir dit.
– Si tu repars d’ici en tant que reclassé, dit Noah, tes chances de t’en tirer sont négligeables. Les hommes parmi lesquels tu débarquas sont tous des amis, ils se sentent responsables les uns des autres et feraient n’importe quoi pour s’entre-sauver. Ça signifie que, tout le sale boulot, tout le boulot dangereux, est donné aux troupes de remplacement. Les sergents n’essaient même pas de se rappeler ton nom. Ils ne veulent rien savoir à ton sujet. Ils te sacrifient à la place de leurs amis. Si tu es incorporé, tout seul, à une nouvelle compagnie, tu es de toutes les patrouilles, tu passes toujours le premier, dès qu’il y a du grabuge. Si tu es blessé au cours d’une attaque, et que ce soit une question de te sauver, toi, ou un vieux de la compagnie, tu peux être sûr qu’ils te laissent froidement tomber.
Noah parlait avec passion, ses yeux noirs intensément fixés sur le visage de Michael, et Michael fut touché par son ardente sollicitude. « Après tout, se rappela Michael, je n’ai pas fait grand-chose pour lui, en Floride, et je n’ai rien fait de plus que mettre sa femme au courant de la situation, à New York, » Il se demanda si cette frêle petite brune avait une idée quelconque de ce que pouvait dire son mari, dans la plaine détrempée des environs de Paris, une idée quelconque des raisonnements souterrains, désespérés, tenus par un homme au sein de cet automne étranger, pour pouvoir un jour lui revenir et prendre son fils dans ses bras.. Que savaient-ils de la guerre, là-bas, en Amérique ? Que disaient les correspondants des dépôts de reclassement, dans leurs articles signés de première page ?
– Il faut avoir des amis, insistait férocement Noah. Il ne faut pas les laisser t’envoyer dans un endroit où tu n’auras pas d’amis pour te protéger…
– Oui, dit gentiment Michael en touchant le bras décharné du jeune homme. Je pars avec toi.
Mais il savait bien, en le disant, lequel des deux avait le plus besoin d’amis.
34
UN chapelain les prit à bord de sa Jeep, dans les environs de Château-Thierry. Le jour était uniformément gris et, dans les cimetières, les vieux monuments et les barbelés rouillé » de l’autre guerre semblaient désolés, mal tenus.
Le chapelain était un jeune homme bavard, à l’accent du Sud clairement évident. Il était attaché à un groupe de P-51 et allait à Reims témoigner en faveur d’un pilote traduit devant le conseil de guerre.
– Pauvre diable ! disait le chapelain, le meilleur garçon que vous puissiez espérer rencontrer. Vingt-deux missions à son actif, avec une victoire aérienne homologuée et deux probables. Le colonel m’a personnellement demandé de ne pas témoigner, mais je considère qu’il serait contraire à mon devoir de chrétien de m’en abstenir.
– Que
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