Le Bal Des Maudits - T 2
heureux que possible. Du moment que j’ai la certitude de retrouver un jour ma fabrique de couches, langes et vêtements d’enfants, à Green Bay, ils peuvent me promener autant qu’ils le veulent.
– Votre quoi ? demanda Michael d’une voix morne.
– Ma fabrique de couches et de langes, répéta timidement O’Brien. Mon frère et moi avons une petite affaire très prospère. Deux camions. Mon frère s’en occupe, actuellement, mais il m’écrit qu’il est devenu impossible de se procurer du coton sous aucune forme. Les cinq dernières lettres que j’ai écrites avant d’être lancé au-dessus de la Hollande étaient destinées à des filatures de coton, aux États-Unis, pour tâcher de raccrocher quelque chose…
Ils entraient dans les faubourgs de Reims. « Il y a des héros dans tous les domaines », pensa humblement Michael.
Il y avait, aussi, des M. P. à tous les coins de rue, et les abords de la cathédrale grouillaient de voitures officielles. Michael vit Noah se raidir, sur le siège de devant, à l’idée d’être déposé au milieu de toute cette dangereuse agitation. Et pourtant Michael ne put s’empêcher de contempler avec intérêt la cathédrale aux vitraux démontés, pour raisons de sécurité, sous sa carapace de sacs de sable. Vaguement, il se souvint que, lorsqu’il était petit garçon à l’école, en Ohio, il avait donné dix cents pour reconstruire cette cathédrale affreusement endommagée par la dernière guerre. Il fut heureux de constater que ses dix cents n’avaient pas été gâchés.
La Jeep s’arrêta devant le quartier général de la zone de communications.
– Entrez ici, lieutenant, dit le chapelain, et exigez d’être transporté à votre groupe, où qu’il soit. N’ayez pas peur d’élever la voix. Et, s’ils ne veulent pas vous donner satisfaction, attendez-moi. Je serai de retour dans un quart d’heure et je les menacerai d’écrire à Washington s’ils ne vous traitent pas avec égards.
O’Brien sortit. Perplexe et visiblement effrayé, perdu d’avance dans les canaux administratifs de l’armée, il resta immobile, hésitant, sur le trottoir.
– J’ai une idée encore meilleure, dit le chapelain. Nous sommes passés devant un café, à deux blocs d’ici. Vous êtes mouillé et complètement gelé. Allez-y, et faites-vous servir un double cognac. Je vous y retrouverai dans un quart d’heure. Je me souviens de leur enseigne. Il s’appelle Aux bons amis.
– Merci, dit O’Brien, mais, si vous n’y voyez pas d’inconvénients, j’aime autant vous attendre ici.
Intrigué, le chapelain regarda le lieutenant. Puis il mit la main dans sa poche et en tira un billet de cinq cents francs qu’il lui tendit.
– Voilà, dit-il. J’avais oublié que vous n’étiez pas payé.
Un sourire embarrassé détendit le visage d’O’Brien.
– Merci, dit-il. Merci.
Il leva la main et s’éloigna, dans la direction du café.
– Et maintenant, dit le chapelain, nous allons sortir ces deux gibiers de potence des pattes des M. P.
– Pardon ? dit bêtement Michael.
– Taisez-vous, déserteurs, dit le chapelain. C’est écrit sur vos physionomies. En avant, garçon, essuyez-moi ce pare-brise.
En souriant, Michael et Noah traversèrent la vieille ville austère. Ils croisèrent six M. P., en cours de route, et l’un deux salua la Jeep au passage. Gravement, Michael lui retourna son salut.
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PL US ils approchaient du front, remarqua Michael, plus tout le monde était gentil avec eux. Lorsqu’ils commencèrent enfin à entendre le grondement des canons, tout le monde autour d’eux parlait courtoisement à voix basse ; tout le monde était content de les nourrir, de les héberger pour la nuit, de partager leur alcool avec eux, de leur montrer des photos familiales et de demander à voir celles de leurs familles. C’était comme si, en pénétrant dans la zone du tonnerre, ils étaient sortis de l’égoïsme, de la méfiance, des mauvaises manières du XX e siècle dans le cadre desquelles ils avaient vécu jusqu’alors, persuadés que la race humaine s’était toujours conduite de cette façon.
Tout le monde les ramassait sans rechigner, sur les routes… Un lieutenant du Service d’Enregistrement des Morts, qui leur expliqua comment son équipe vidait les poches des cadavres et séparait en deux tas leurs terrestres possessions. L’un comprenait les lettres de chez eux, les Bibles de poche,
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