Le Bal Des Maudits - T 2
Ackerman ? dit-il. Je vous croyais civil, à présent.
Ils se serrèrent la main.
– Non, mon capitaine, dit Noah. Je ne suis pas encore civil. Vous vous souvenez de Whitacre, n’est-ce pas ?
Green regarda Michael.
– Mais oui, dit-il de sa voie aiguë, plaisamment efféminée. Depuis la Floride. Quels crimes avez-vous commis pour mériter le renvoi à la compagnie C ?
Il serra la main de Michael.
– Nous n’avons pas été renvoyés, mon capitaine, dit Noah. Nous avons déserté le dépôt de reclassement.
– Très bien, dit Green, souriant. N’y pensez plus. C’est très gentil de votre part. Je vais régulariser ça en moins de deux. Et je ne vous demanderai pas pourquoi vous avez tenu à rejoindre cette misérable compagnie. Vous êtes mes renforts de la semaine…
Il était évident que le retour de Noah et de Michael l’émouvait et l’enchantait à la fois. Il ne cessait de tapoter le bras de Noah d’un geste chaleureux, presque maternel.
– Mon capitaine, dit Noah. Johnny Burnecker est-il par ici ?
Il essayait de parler d’un ton égal et naturel, mais n’y parvenait qu’à demi.
Green se détourna. Le caporal battit la charge sur son bureau improvisé. « Ça va être terrible, pensa Michael, les dix minutes à venir vont être terribles. »
– J’avais oublié à quel point Johnny Burnecker et vous étiez de bons amis, dit Green.
– Oui, mon capitaine, dit Noah.
– Il a été nommé sergent, vous savez, dit Green. Sergent-chef. Il a son peloton, depuis septembre. C’est l’un de nos meilleurs soldats, Johnny Burnecker.
– Oui, mon capitaine, dit Noah.
– Il a été touché hier soir, dit Green. Un obus perdu. Le seul qui ait été touché dans la compagnie depuis cinq jours.
– Est-il mort, mon capitaine ? demanda Noah,
– Non.
Michael vit les poings crispés de Noah s’ouvrir lentement, le long des coutures de son pantalon.
– Non, dit Green, il n’est pas mort. Nous l’avons fait évacuer immédiatement.
– Mon capitaine, demanda vivement Noah, puis, je vous demander une faveur, une grande faveur ?
– Quoi donc ?
– Donnez-moi un laissez-passer pour retourner en arrière et voir si je peux lui parler.
– Il a pu être renvoyé dans un hôpital provisoire, dit doucement le capitaine Green.
– Il faut que je le voie, mon capitaine, dit Noah, parlant très vite. C’est terriblement important. Vous ne pouvez pas savoir à quel point c’est important. L’hôpital provisoire du secteur n’est qu’à vingt-cinq kilomètres, environ. Nous l’avons vu en passant. Il ne me faut pas plus de deux heures. Je ne resterai pas longtemps. Je vous promets que je ne resterai pas longtemps. Je reviendrai aussitôt. Je serai de retour avant la nuit. Je ne veux que pouvoir lui parler un quart d’heure. Cela peut changer bien des choses, pour lui, mon capitaine.
– Très bien, dit Green. – Il s’assit, griffonna sur une feuille de papier. – Voilà un laissez-passer. Dites à Berenson, là, dehors, que j’ai dit qu’il vous conduise.
– Merci, dit Noah d’une voix imperceptible. Merci, mon capitaine.
– Pas de crochets, hein, dit Green en regardant au mur la carte du secteur, lourdement chargée de traits et de symboles. Nous avons besoin de cette Jeep pour ce soir.
– Pas de crochets, répéta Noah. Je vous le promets. Il se dirigea vers la porte, s’arrêta.
– Mon capitaine, dit-il.
– Oui ?
– Est-il grièvement blessé ?
– Très grièvement, Noah, dit Green avec lassitude.
Noah se composa un visage impassible et sortit, le laissez-passer à la main. Un instant plus tard, Michael entendit la Jeep s’éloigner dans la boue, avec un bruit grouillant de canot automobile.
– Restez par ici jusqu’à ce qu’il revienne, Whitacre, dit le capitaine Green.
– Oui, mon capitaine, dit Michael.
Green l’observa attentivement.
– Quelle sorte de soldat êtes-vous devenu, Whitacre ? s’informa-t-il.
Michael réfléchit un instant.
– Misérable, mon capitaine, avoua-t-il.
Green sourit amicalement. Il ressemblait, plus que jamais, à un vendeur de grand magasin, debout derrière son comptoir, après le coup de feu de Noël.
– Il faudra que j’en tienne compte, dit-il.
Il alluma une cigarette, gagna la porte, l’ouvrit, s’y tint un instant immobile, contre le fond gris, délavé, du paysage automnal. À travers la porte ouverte parvint de nouveau,
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