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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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de la crête, se fussent laissé affoler par le lourd barrage d’artillerie concentré sur leurs positions. Aucun obus ne frappa le pont de plein fouet. Trois sapeurs reçurent des blessures de diverses gravités, et tous furent trempés jusqu’aux os par les projectiles qui tombaient autour d’eux, dans le fleuve.
    Les fusées éclairantes illuminaient la scène d’une lueur irréelle et bleuâtre, conférant aux silhouettes qui s’agitaient sur le fleuve un caractère étrangement fantomatique. Les premiers hommes du peloton qui tentèrent l’aventure traversèrent sans incidents, mais Lawson fut touché et tomba dans le fleuve, bientôt rejoint par Mukowski.
    Accroupi au côté de Noah, dont la main gauche était crispée autour de son bras, Michael regardait les hommes foncer l’un après l’autre sur les planches étroites et glissantes. L’un d’eux tomba en travers du pont, et les autres durent sauter par-dessus son corps pour pouvoir gagner l’autre rive.
    Non, pensa Michael sentant son bras trembler sous la main de Noah, non, c’est impossible : ils ne peuvent pas me demander de faire ça ; ils savent bien que c’est impossible… »
    –  Maintenant ! chuchota Noah, va !
    Michael ne bougea pas. Un obus atterrit dans le fleuve, à trois mètres du pont. L’eau jaillit en un geyser noir, qui voila une seconde la silhouette étendue sur les planches mouvantes.
    Michael sentit un poing lui marteler la nuque.
    –  Va ! hurlait Noah. Maintenant ! enfant de salaud !
    Michael se leva, fonça en avant. Un obus percuta non loin de l’autre extrémité du pont, alors qu’il n’avait fait encore qu’une dizaine de pas sur les planches glissantes, et Michael se demanda si le pont allait toujours jusqu’à l’autre rive, mais il continua de courir.
    Un instant plus tard, il était de l’autre côté. « Par ici, par ici », criait une voix dans les ténèbres. Docilement, il suivit la voix et s’écroula dans un trou déjà occupé.
    –  O. K., dit la voix. Reste ici jusqu’à ce que le reste de la compagnie soit passé.
    Michael posa sa joue contre la terre humide et fraîche, dont le contact fut agréable à sa peau couverte de sueur. Lentement, il reprit son souffle. Il leva la tête et regarda les silhouettes fantomatiques qui fonçaient à travers le fleuve, entre les geysers d’eau noire. Il respira profondément. « Je l’ai fait, pensa-t-il. J’ai avancé sous le feu de l’ennemi. Je peux le faire, J’ai fait comme tout le monde ! » Il se surprit à sourire, « Décidément, pensa-t-il, en se retournant vers les positions allemandes, je fais un drôle de soldat. »

37
     
     
     
    À première vue, on eût presque dit un camp militaire normal, bien situé, adossé à de belles collines boisées, au milieu d’une vaste étendue verdoyante. Les baraquements étaient plus rapprochés, et la double ligne de palissades barbelées, garnie de miradors, ne tardait pas, évidemment, à trahir sa véritable nature. Et, surtout, il y avait l’odeur. À deux cent mètres à la ronde, l’odeur empestait l’atmosphère, comme un gaz qui, par suite de quelque chimique prestidigitation, eût été sur le point de se transformer en solide.
    Pourtant, Christian ne s’arrêta pas. Il continua de boitiller rapidement vers l’entrée principale, dans l’air brillant du matin printanier. Il avait besoin de manger et de se renseigner. Quelqu’un, à l’intérieur du camp, serait peut-être encore en rapports téléphoniques avec une autorité quelconque. Quelqu’un, plus simplement, aurait peut-être entendu la radio… Peut-être même, songea-t-il en se remémorant la retraite de France, peut-être même pourrait-il y trouver une bicyclette… Il sourit amèrement en s’approchant du camp. « Je suis devenu un spécialiste de la retraite personnelle », songea-t-il. C’était une corde qu’il était très utile de posséder à son arc, en ce printemps de 1945. « Je suis le meilleur expert nordique, pensa-t-il, en matière de tactique de repli. Je sens la reddition dans l’âme d’un colonel deux jours avant que le colonel lui-même réalise ce qui se passe dans son esprit. »
    Christian ne voulait pas se rendre, bien qu’au cours du dernier mois des millions d’hommes eussent passé le plus clair de leur temps à chercher le meilleur moyen de franchir ce pas décisif… Dans les cités mutilées, dans les vagues îlots de résistance disséminés le long des

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