Le Bal Des Maudits - T 2
chose, mon lieutenant, chuchota-t-il confidentiellement. J’ai l’impression que les Allemands sont partis depuis au moins une semaine.
Michael regarda Houlihan. Le visage du sergent était ouvert et enfantin. Houlihan avait conduit un autobus, avant la guerre, dans la Cinquième Avenue. « Mais, songea Michael, ce n’est pas sur la ligne de Washington Square qu’il a appris à jouer aussi bien la comédie. »
– Parfait, dit le lieutenant, souriant. C’est plus tranquille ici, je dois le dire, qu’à notre centre de la zone de communications. N’est-ce pas, Louis ?
– Oui, mon lieutenant, dit Louis.
– Pas de colonels qui viennent à chaque instant vous empoisonner, dit cordialement le lieutenant, et pas besoin de se raser tous les jours.
– Non, mon lieutenant, dit Houlihan, nous n’avons pas besoin de nous raser tous les jours,
– J’ai entendu dire, reprit confidentiellement le lieutenant en regardant la pente qui descendait vers le fleuve, qu’on pouvait trouver des souvenirs allemands, sur cette rive.
– Oh ! certainement, acquiesça Houlihan. Ces champs sont couverts de casques, de Luger et de Leica.
« Il est allé trop loin, pensa Michael, il est allé beaucoup loin. » Il leva les yeux pour voir comment le lieutenant prenait la chose, mais ne vit rien de plus, sur ce visage sain et rose, qu’une expression ouvertement avide, « Bon Dieu, pensa-t-il, dégoûté, qui a bien pu nommer cet individu au poste qu’il occupe ?
– Louis, Steve, dit le lieutenant, nous allons descendre et jeter un coup d’œil.
– Une minute, mon lieutenant, dit Louis. Demandez-lui s’il n’y a pas de mines.
– Oh non ! se récria Houlihan. Je vous garantis qu’il y a pas de mines.
Accroupis dans leurs trous, les sept hommes du peloton ne bougeaient pas, ne disaient rien.
– Cela ne vous dérange pas, sergent, dit le lieutenant, que nous allions faire un tour en bas ?
– Faites comme chez vous, mon lieutenant, plaisanta Houlihan.
« Là, je le savais, pensa Michael, il va leur dire que c’était une blague, leur démontrer leur stupidité et les renvoyer à leur centre de la zone de communications… »
Mais Houlihan ne bougeait pas.
– Ayez l’œil sur nous, sergent, voulez-vous ? dit le lieutenant.
– Je n’y manquerai pas, mon lieutenant, dit Houlihan.
– Parfait. Venez, les enfants.
Le lieutenant se fraya un chemin, maladroitement, à travers les buissons, et se lança dans la descente, les deux sergents sur ses talons.
Michaels se retourna et consulta Noah du regard. Noah l’observait, immobile. Ses yeux au regard mûr étaient durs et menaçants, et Michael savait que Noah lui ordonnait de rester tranquille, de ne pas se manifester, de se taire. « Bien sûr, pensa immédiatement Michael, c’est son vieux peloton ; il a connu ces hommes longtemps avant moi… »
Il se retourna, regarda la pente boueuse, le long de laquelle glissaient lourdement le lieutenant à la capote fauve de chez Abercrombie and Fitch, et les deux sergents ses amis. La boue était gelée, et ils devaient parfois se cramponner aux troncs d’arbres pour éviter de terminer leur descente sur les reins. « Non, pensa Michael, ils penseront ce qu’ils voudront, mais je ne peux pas les laisser faire ça… »
– Houlihan ! – Il bondit auprès du sergent, qui ne quittait pas des yeux le sommet de la crête d’en face. – Houlihan ! Tu ne peux pas faire ça ! Tu ne peux pas les laisser descendre comme ça ! Houlihan !
– Ta gueule ! chuchota férocement Houlihan. Tu n’as pas à me dire ce que j’ai à faire. C’est moi qui commande ce peloton !
– Ils vont se faire tuer, dit Michael, en regardant les trois hommes glisser et trébucher sur la neige mouillée.
– Et alors ? coupa Houlihan, – et Michael fut effrayé par l’intensité de la haine qu’exprimaient soudain ses traits fins d’étu diant rêveur. – Et alors ? Pourquoi ces salauds-là ne se feraient-ils pas un petit peu descendre aussi, de temps en temps ? Ils sont dans l’armée, pas vrai ! Et puisqu’ils veulent des souvenirs !
– Il faut les arrêter ! insista Michael d’une voix méconnaissable. Si tu ne les arrêtes pas, je ferai transmettre un rapport, je te jure que je le ferai…
– Ta gueule, Mike ! dit Noah.
– Faire transmettre un rapport, hein ? – Obstinément, le sergent continuait de regarder fixement la crête opposée. – Tu
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