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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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regardait. Burnecker leva le bras et lui rendit son geste, avec une amicale fierté.
    Une lettre de Hope l’attendait au camp. Noah l’ouvrit avec une lenteur solennelle.
    « Rien encore, chéri, disait la lettre. Je suis énorme. J’ai l’impression que le petit va peser soixante-quinze kilos. Je mange tout le temps. Je t’aime… »
    Noah relut sa lettre trois fois de suite. Il se sentait adulte et paternel. Puis il la plia soigneusement, la mit dans sa poche et retourna à sa tente, afin de se préparer pour sa permission de trois jours.
    Plus tard, en prenant une chemin propre dans son sac, il posa la main sur la boîte qu’il y avait cachée. Elle était toujours là, enveloppée dans un caleçon long. C’était une boîte de vingt-cinq cigares. Il l’avait achetée aux États-Unis et transportée à travers l’Océan, en vue de ce jour qui n’allait pas tarder à échoir. Il avait vécu si longtemps sans rites ni cérémonies que la simple habitude un peu ridicule de saluer par une distribution de cigares la venue au monde d’un héritier avait assumé dans son esprit une importance solennelle. Il avait payé très cher ces cigares, à Newport News, en Virginie – huit dollars et soixante-quinze cents ! – et la boîte occupait une place précieuse dans son paquetage, mais il n’avait jamais regretté ni les neuf dollars ni l’accroissement de la difficulté. L’acte de donner, maladroit symbole de fête, lui ferait mieux sentir la présence de son enfant, né à cinq mille kilomètres de lui, établirait entre l’enfant et lui-même, dans son propre esprit et dans les esprits des hommes qui l’entouraient, les relations normales de père à fils ou de père à fille. Il serait si facile, autrement, dans le flot kaki, de prendre ce jour pour un jour comme les autres, de prendre le soldat Ackerman pour un soldat comme les autres… Mais pendant que la fumée de l’offrande monterait, frêle et bleue, vers le ciel, il serait plus qu’un soldat parmi dix millions de soldats, il serait plus qu’un exilé, plus qu’un fusil ou un salut, plus qu’un casque, un matricule ou un bracelet d’identité… il serait un père, maillon créateur de la chaîne d’amour, trait d’union entre deux générations d’hommes.
    –  Oh ! dit Burnecker.
    Il gisait sur sa couchette, n’ayant rien ôté que ses brodequins poussiéreux.
    –  Oh, les copains, regardez-moi cet Ackerman ! Quand les Londoniennes vont apercevoir cette raie impeccable, elles vont lui tomber dans les bras toutes rôties.
    Noah sourit, heureux de la plaisanterie usée de Burnecker. Quelle différence avec les jours sombres passés en Floride ! Plus la bataille approchait, plus approchait le jour où la vie de chacun dépendrait du courage de tous, plus s’aplanissaient les controverses, les menus différents, plus se fortifiaient leurs amitiés.
    –  Je ne vais pas à Londres, dit Noah en nouant soigneusement sa cravate.
    –  Il a une duchesse dans le Sussex, dit Burnecker au caporal Unger qui, devant le poêle, se coupait les ongles des pieds. Une duchesse authentique, paraît-il, mais faut pas le répéter.
    –  Pas de duchesse dans le Sussex, non plus, dit Noah.
    Il enfila son blouson et le boutonna sans s’émouvoir.
    –  Alors, où vas-tu ?
    –  À Douvres, dit Noah.
    –  À Douvres ! s’exclama Burnecker, stupéfait. Avec une permission de trois jours ?
    –  Oui.
    –  Les Allemands ne cessent pas de canarder Douvres, dit Burnecker. Tu es sûr que c’est là que tu veux aller ?
    –  Certain, dit Noah.
    Il leur fit au revoir de la main et sortit de la tente.
    –  À lundi !
    Burnecker, bouche bée, le regarda disparaître. Puis il haussa les épaules.
    –  Ses ennuis lui ont détraqué le cerveau, grogna-t-il.
    Il s’allongea sur sa couchette. Une minute et demie plus tard, il dormait.
    Noah sortit du vieil hôtel de brique et de bois alors que le soleil se levait sur les côtes de France.
    Il descendit la rue vers la Manche. La nuit avait été paisible, avec un léger brouillard. Il était allé au restaurant, dans le centre de la ville. Un orchestre de trois musiciens jouait des airs modernes, et des soldats britanniques dansaient avec des filles sur le vaste plancher. Noah n’avait pas dansé. Il était resté assis, tout seul, en buvant du thé non sucré, souriant timidement et regardant ailleurs lorsqu’une jeune fille lui jetait un regard d’invitation. Il aimait danser, mais il

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