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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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matin, les sirènes étaient entrées en action, mais seulement pour signaler le retour d’une vague d’appareils qui étaient allés bombarder Londres et avaient franchi la côte à quinze ou vingt kilomètres à l’ouest. Les canons antiaériens n’avaient même pas ouvert le feu.
    Tout en marchant dans la rue, d’un pas vif, Noah toucha la lettre, dans la poche de son blouson. Il se demandait s’il y avait en ville une unité de l’Armée américaine où il lui serait possible de la faire censurer. Il se sentait toujours vaguement dégoûté lorsqu’il imaginait les officiers de sa compagnie – qu’il n’aimait pas – lisant d’un œil critique les lettres qu’il écrivait à Hope.
    Le soleil était levé, maintenant, et brûlait calmement sous le léger brouillard. Les maisons émergeaient du matin, luisantes et pâles. Noah passa devant un groupe de quatre maisons abattues, dont il ne restait plus rien, que les fondations déblayées. « Enfin, je suis dans une ville en guerre », pensa Noah.
    La Manche s’étalait au-dessous de lui grise et froide. La brume cachait encore la côte de France. Trois vedettes lance-torpilles britanniques regagnaient leurs abris de béton. Elles avaient, la nuit précédente, mené des patrouilles sur la côte ennemie, traînant derrière elles un pâle sillage d’écume, dans le désordre mortel des projecteurs, des balles traçantes, des torpilles sous-marines, dont les explosions soulevaient de noirs geysers. À présent, elles rentraient à vitesse réduite, sous le soleil dominical, légères, rapides et nettes comme des canots de plaisance.
    « Une ville en guerre », pensa Noah.
    Au bout de la rue il y avait un monument de bronze, corrodé et noirci par le vent marin. Noah lut l’inscription qui commémorait le passage, de 1914 à 1918, des soldats britanniques partant pour la France.
    « Et également en 1939, pensa Noah, et également en 1940, mais dans l’autre sens, après Dunkerque. » Quel monument verrait-on à Douvres, dans vingt ans, quelles batailles évoquerait-il dans l’esprit d’un soldat ?
    Il reprit sa route. La ville lui appartenait. La route escaladait les falaises célèbres, à travers les prairies ventées qui, comme tant d’autres paysages d’Angleterre, rappelaient à Noah un parc bien entretenu par un jardinier soigneux, aimant son métier et totalement dépourvu d’imagination.
    Il marchait vite, en balançant les bras. Sans fusil, sans paquetage, sans sacs, sans casque, sans bidon et sans baïonnette, la marche n’était plus qu’une succession dérisoire de mouvements légers, sans effort.
    l’expression, spontanée de la santé d’un corps, par un matin d’hiver clément.
    Lorsqu’il atteignit le sommet de la falaise, le brouillard s’était dissipé, et les eaux de la Manche brillaient, scintillantes et bleues, jusqu’à la côte de France. Là-bas, se dressaient les falaises de Calais. Noah s’arrêta, regarda la mer. La France était étonnamment proche. En écarquillant les yeux, il parvint presque à s’imaginer qu’il y distinguait un camion, sur une route en pente, non loin d’une église dont le clocher s’enfonçait dans l’air sec. Ce serait sans doute un camion de l’armée, pensa-t-il, et probablement rempli de soldats allemands en route pour l’église. C’était une sensation curieuse que de regarder ainsi le territoire ennemi, même à cette distance, sachant que l’ennemi pouvait probablement l’apercevoir, dans ses jumelles, et le tout, au sein d’une trêve irréelle, uniquement née de la distance. Dans toute guerre, lorsque deux ennemis se rencontrent, il paraît logique qu’ils s’entre-tuent. Cette observation paisible et réciproque avait quelque chose d’artificiel et de subtilement ridicule ; c’était un aspect de la guerre qui laissait l’observateur dans un curieux état d’insatisfaction. « C’est bizarre, pensa Noah, mais il me semble qu’après cela il me sera moins facile encore de les tuer. »
    La ville de Calais, avec ses docks et ses clochers et les toits de ses maisons, reposait dans la quiétude dominicale, comme la ville de Douvres, au-dessous de lui. Quel dommage que Roger ne soit pas avec lui, aujourd’hui. Roger aurait eu quelque chose à dire, quelque point obscur et significatif, quelque anecdote historique au sujet de ces deux cités jumelles s’envoyant mutuellement à travers les âges des bateaux de pêche, des touristes, des

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