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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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avait décidé qu’il serait tout à fait déplacé de tournoyer sur un plancher avec une fille dans les bras à l’heure où, peut-être, les souffrances de sa femme atteignaient leur paroxysme, où le premier cri de son enfant se faisait peut-être entendre sur cette terre.
    Il était reparti de bonne heure pour son hôtel, passant devant l’estrade des musiciens et devant l’écriteau qui disait : « Pas de bal pendant les bombardements. »
    Il s’était enfermé dans sa chambre froide et nue. Il s’était glissé dans les draps avec une impression de luxe indescriptible. Personne ne pouvait rien lui dire, personne ne pouvait rien lui commander jusqu’à lundi. Puis il s’était assis dans son lit pour écrire à Hope, en se souvenant des centaines de lettres qu’il lui avait écrites lorsqu’il l’avait connue.
    « Je suis assis dans mon lit, écrivit-il, dans un vrai lit, dans un vrai hôtel, et, pendant trois jours, je suis mon propre maître. Je ne peux pas te dire où je suis, parce que ça ne plairait pas au censeur, mais je crois que je peux te dire en toute sécurité qu’il y avait du brouillard cette nuit et que je viens de sortir d’un restaurant dont l’orchestre jouait « Parmi mes souvenirs », au-dessus d’un écriteau qui disait : « Pas de bal pendant les bombardements ». Je crois aussi que je peux te dire que je t’aime.
      Je me porte à merveille, et, bien que nous ayons travaillé très dur, au cours des trois dernières semaines, j’ai trouvé le moyen de prendre deux kilos. Je serai probablement si gros, quand je rentrerai à la maison, que ni toi ni le bébé ne me reconnaîtrez.
      Et ne te mets pas martel en tête si tu n’as « qu’une » fille. Je serai enchanté d’avoir une fille. Sincèrement. J’ai beaucoup pensé à l’éducation du bébé, continua-t-il sérieusement, courbé au-dessus de son bloc de papier à lettre, dans la lueur faible de la lampe. J’espère que tout ceci ne te semblera pas trop dogmatique. Nous n’avons jamais eu le temps d’en discuter ensemble ni par conséquent d’atteindre des compromis.
      Je t’en prie, chérie, ne ris pas de moi si je te parle aussi solennellement d’une petite vie qui, au moment où j’écris ceci, n’a peut-être pas encore commencé. Mais je n’aurai sans doute pas d’autre permission avant longtemps, ni d’autre occasion de penser et de t’écrire avec toute la tranquillité nécessaire.
      Je suis certain, chérie, que ce sera un enfant superbe, sain et fort de corps et d’esprit, et que nous l’aimerons beaucoup. Je vous promets à tous les deux de vous revenir avec un corps et un cœur intacts. Je sais que je reviendrai, quoi qu’il arrive. Je reviendrai t’aider à lui mettre ses langes et lui raconter de belles histoires au moment de l’endormir, lui faire manger des épinards et lui apprendre à boire son lait dans un verre, le promener le dimanche dans le parc et lui dire les noms des animaux, lui expliquer pourquoi il ne doit pas frapper les petites filles et aimer sa maman autant que l’aime son papa.
      Dans ta dernière lettre, tu me disais que tu l’appellerais peut-être comme mon père, si c’était un garçon. Non, chérie. Je n’aimais pas beaucoup mon père, bien qu’il ait eu sans doute de grandes qualités, et j’ai toujours tout fait pour le fuir. Non, si c’est un garçon, appelle-le Jonathan, comme ton père, si le nom te plaît. Ton père m’effraie un peu, mais je l’ai toujours admiré, depuis notre première entrevue, dans le Vermont, certain jour de Noël.
      Je ne suis pas inquiet pour toi. Je sais que tout se passera bien. Ne t’inquiète pas pour moi. Rien ne peut m’arriver maintenant.
      Je t’aime,   Noah. »
    P. -S. – J’ai écrit un poème, ce soir, avant de dîner. Mon premier poème. C’est une réaction à retardement à l’attaque des positions fortifiées. Le voici. Ne le montre à personne. J’ai honte.
    Crains la révolte du cœur.
    Elle n’est pas faite pour la guerre.
    Crains le doigt timide qui frappe
    À la porte de cuivre.
    »  Telle est la première strophe. Je t’enverrai bientôt la suite. Écris-moi, chérie, écris-moi, écris-moi, écris-moi… »
    Il avait soigneusement plié la lettre et était allé la ranger dans la poche de son blouson. Puis il avait éteint la lumière et avait rejoint le chaud confort de ses draps.
    Il n’y avait pas eu de bombardement pendant la nuit. Vers une heure du

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