Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
Vom Netzwerk:
ambassadeurs, des soldats, des pirates et des tonnes d’explosifs. Quelle honte que Roger fût mort parmi les palmiers et les mousses fétides des Philippines. Il aurait été tellement plus équitable – puisqu’il devait mourir – que la mort le surprenne sur une plage de cette France qu’il avait tant aimée, dans un village des environs de Paris, alors que, le sourire aux lèvres, il aurait recherché le propriétaire du bistrot avec lequel il avait trinqué, tout un été, ou bien en Italie, dans l’un de ces villages de pêcheurs qu’il avait traversés en 1936, sur le chemin de Naples à Rome, où il serait tombé en reconnaissant l’église, la mairie, le visage d’une jolie fille… La mort, pensa Noah, avait ses propres degrés de justice et s’était montrée particulièrement injuste envers Roger.
    Tu rends le temps et l’amour agréable. Tu prépares des mets délectables. Mais as-tu du pognon, chérie ! Le pognon, y a qu’ça dans la vie…
    « Après la guerre, décida Noah, je reviendrai ici avec Hope. Nous ne parlerons pas de la guerre. Nous marcherons, la main dans la main, par un beau jour d’été, nous nous assiérons dans l’herbe rase, nous regarderons la mer et nous dirons : « Regarde, on dirait qu’on voit un clocher, là-bas, en France… Quelle journée merveilleuse !… »
    Une explosion massacra le silence. Noah baissa les yeux vers le port. Une bouffée de fumée s’éleva, au point de chute de l’obus, entre de longs bâtiments qui devaient être des entrepôts. Puis il y eut une seconde explosion, une troisième. Des bouffées de fumée s’épanouirent au hasard, parmi les toits de la ville. Une cheminée s’effondra, lentement, trop loin pour que le fracas de sa chute puisse être perceptible. Il y eut, en tout, sept explosions. Puis, de nouveau, le silence. La ville retomba sans effort dans la torpeur de ce dimanche anglais.
    Aucun canon britannique ne prit la parole pour répondre. Les nuages de poussière soulevés par les obus se résorbèrent progressivement. Cinq minutes plus tard, il était presque impossible de se souvenir que quelque chose était arrivé.
    Lentement, cherchant à fixer dans son esprit le son exact de ces explosions, Noah redescendit vers la ville. Elles avaient été si lointaines, si désordonnées, si pleines d’une hargne enfan tine… « Est-ce cela, ne put-il s’empêcher de penser, en se raidissant pour ne pas se laisser entraîner par la pente abrupte, est-ce cela, la guerre ? »
    La ville était bien éveillée, maintenant. Deux vieilles dames, coiffées de bonnets noirs à plumes, missels sous le bras, mains gantées, se dirigeaient posément vers l’église. Un lieutenant de marine passa, à bicyclette, dans un uniforme impeccable, le bras droit en écharpe. Une toute petite fille, implacablement remorquée vers l’église par une tante-dragon, leva les yeux vers Noah, au passage, et lui jeta gravement le salut rituel des enfants britanniques aux soldats américains :
    –  As-tu du chewing-gum, Chum ?
    –  Harriet ! glapit la tante.
    Noah sourit et adressa à la petite fille blonde un hochement de tête mi-complice, mi-désapprobateur.
    Il s’arrêta en face de l’église. C’était un immeuble trapu, en pierre de taille, avec un lourd clocher carré. Le Dieu qu’on y adorait devait être un Dieu implacable et sévère, le Dieu du Vieux Testament, qui posait sa Loi, sans subtilités ni fioritures ; un Dieu des côtes et des falaises, un Dieu de tempêtes et d’eau glacée, prompt à rendre la justice, beaucoup moins prompt à redonner. Il y avait un abri antiaérien au centre de pelouse, des chevaux de frise près de l’entrée du presbytère, et, au coin de la pelouse, des blocs de béton antitanks, pour arrêter les Allemands, qui n’avaient jamais escaladé les falaises, comme ils avaient promis de le faire en 1940.
    L’office était commencé. Les fidèles chantaient un cantique, sur un accompagnement d’orgue Dominant le bourdonnement grave des voix d’hommes et de l’instrument, les voix de soprano des enfants et des femmes, émanant de ces pierres grises, paraissaient étrangement délicates et frivoles. Poussé par une impulsion qu’il ne chercha pas à discuter. Noah entra dans l’église.
    L’assistance n’était pas nombreuse. Noah s’assit au fond de l’église, sur l’un des bancs de chêne vacants. La plupart des fe nêtres étaient brisées, certaines avaient été bouchées

Weitere Kostenlose Bücher