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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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tant bien que mal avec du carton ; d’autres étaient demeurées ce que les bombardements avaient fait d’elles puzzles hétéroclites de fragments de vitres et de lourdes lamelles de plomb. Le vent salé de la Manche s’engouffrait par les trous, faisant voler les voiles, tournant les pages des Bibles, ébouriffant les cheveux du prêtre qui se tenait debout, apparemment plongé dans ses rêves, se dandinant doucement au rythme du cantique, rappelant, avec son mince visage parcheminé et ses longs cheveux de neige, quelque vieil astronome ou quelque vieux pianiste, trop profondément absorbés par leurs fugues et par leurs étoiles pour songer à aller chez le coiffeur.
    Noah n’était jamais allé à la synagogue. La rhétorique redondante, les connaissances illimitées de son père en matière de littérature religieuse avaient toujours efficacement brouillé l’idée de Dieu dans l’esprit de Noah. Et, depuis qu’il était dans l’armée, il n’avait jamais eu envie de causer avec les chapelains, tant chrétiens que Juifs. Ils lui avaient toujours paru trop cordiaux, trop soldats, trop terre à terre, trop semblables aux autres capitaines ou commandants de troupe pour pouvoir lui offrir un soutien spirituel efficace. Il avait toujours eu l’impression que s’il était allé leur dire : « Mon Père, j’ai péché », ou « Mon Père, j’ai peur de l’enfer », ils se seraient contentés de lui donner une claque dans le dos, de citer un article des règlements de l’armée et de le renvoyer nettoyer son fusil.
    Il ne prêta au service religieux qu’une attention distraite. Il se leva en même temps que les autres, s’assit en même temps que les autres, écouta, sans tenter d’en comprendre les paroles, les mélodies mineures des cantiques, ne quittant pas des yeux le visage délicat et las du vieux prêtre.
    Puis l’assistance ferma les missels, remua les pieds ; les enfants se figèrent, les deux grandes mains exsangues du prêtre se refermèrent sur le bois poli de la chaire, et le vieillard commença son sermon.
    Au début, Noah ne distinguait pas les paroles. Son esprit sommeillait, comme lorsqu’il écoutait de la musique et que, sans suivre exactement la mélodie ou le développement du thème symphonique, il se laissait emporter par les sons abstraits sur un fleuve séparé d’images personnelles. Le prêtre avait une voix douce et grave de vieil homme, qui se perdait, parfois, dans le bruit du vent s’engouffrant par les brèches des fenêtres brisées. C’était une voix dépourvue de passion professionnelle, une voix qui ne semblait contenir aucun écho des rites passés, une voix… affranchie des vieux sermons et des vieilles liturgies, une voix si sincèrement religieuse qu’elle avait cessé d’être celle d’un homme d’église.
    « … L’amour, disait le vieillard, l’amour, mot d’ordre du Christ, n’admet aucune division, aucun calcul, aucune réticence, aucune diversité d’interprétations. On nous dit d’aimer notre voisin comme nous-mêmes, et notre ennemi comme notre frère, et ces mots et leur signification sont aussi clairs, aussi simples qu’un poids de métal sur le plateau de la balance dans laquelle nos actes seront pesés.
    »  Nous habitons sur la Manche, mais nous n’habitons pas sur les rives de la Manche ; nous habitons parmi les algues et les épaves polies par le roulement des marées, parmi les bancs de sel et les ossements de ceux qui se sont noyés dans les sombres abîmes, et, par-dessus nos têtes, déferlent les torrents de la haine de l’homme envers l’homme et envers son Dieu. Nous vivons parmi les canons, dont les voix de tonnerre nous empêchent d’entendre la douce voix de Dieu parmi les clameurs de vengeance. Nous voyons nos cités tomber en poudre sous les bombes de l’ennemi, et nous portons le deuil de nos enfants prématurément frappés par les balles de l’ennemi, et nous frappons à notre tour, sauvagement, cruellement, de toute la force de notre haine, ses enfants et ses cités. L’ennemi est plus sauvage que le tigre, plus vorace que le requin, plus cruel que le loup ; et, pour défendre nos principes d’honneur et de modération, nous devenons plus tigre, plus loup et plus requin que lui-même. Pourrons-nous, à la fin de cette guerre, prétendre que nous aurons remporté la victoire ? Les principes que nous détendons périssent de nos victoires comme elles ne périraient jamais de nos défaites. Les

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