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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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prières de nos cœurs endurcis monteront-elles encore jusqu’à Dieu, chaque dimanche, après une semaine passée à tuer des innocents, écraser sous nos bombes des églises et des musées, incendier des bibliothèques, enterrer les enfants et les mères dans l’acier et le béton qui sont le symbole de notre siècle ?
    »  Ne vous vantez pas, dans vos journaux, des centaines de tonnes de bombes que vous avez semées au hasard sur la malheureuse terre d’Allemagne, parce que je vous répondrai que vous avez lâché ces bombes sur moi, votre prêtre, sur votre église, sur vous-mêmes et sur votre Dieu. Racontez-moi, plutôt, comme vous avez pleuré après avoir tué l’Allemand qui se tenait devant vous, armé et dangereux, et je vous répondrai : vous êtes mes défenseurs et les défenseurs de mon église et de mon Angleterre.
    »  Je vois plusieurs soldats dans l’assistance et je sais qu’ils ont le droit de demander : « Qu’est pour un soldat l’amour de son prochain ? Comment un soldat peut-il respecter la parole du Christ ? Comment un soldat peut-il aimer ses ennemis ? » Et je leur répondrai : « Tuez sans haine et sans désir de tuer, avec un sentiment de tragédie et de péché, péché dont vous partagez la responsabilité avec l’homme que vous tuez. Car n’est-ce pas votre indifférence, votre faiblesse d’esprit, votre voracité, votre surdité qui ont armé sa main et l’ont conduit pour vous tuer sur le champ de bataille ? Il a lutté, il a pleuré, il vous a supplié, et vous avez dit : « Je ne l’entends pas. Sa voix ne traverse pas les eaux. » Puis il a ramassé son fusil et vous avez dit : « Je l’entends à présent. Tuons-le. »
    »  Ne vous croyez pas justes dans vos cœurs à cause de cette tardive et sanglante attention que vous lui accordez, continua le vieillard d’une voix qui commençait à faiblir. Tuez, si vous le devez absolument, puisqu’au sein de notre faiblesse et de nos erreurs, nous n’avons pas su découvrir d’autre route conduisant à la paix, mais tuez avec remords, tuez avec chagrin, tuez avec pi tié, tuez avec parcimonie, tuez sans esprit de vengeance, car la vengeance n’appartient qu’au Seigneur, tuez en sachant que chaque vie dont vous tranchez le cours appauvrit votre propre vie.
    « Venez, mes enfants, remontez des abîmes de la Manche, libérez-vous des épaves englouties, dégagez-vous des jungles sous-marines. Nous luttons contre des bouchers, ne souillons pas nos mains dans leur boucherie. Ne faisons pas des fantômes de nos ennemis, faisons-en plutôt nos frères. Si nous portons l’épée de Dieu dans nos mains, ainsi que nous le prétendons, souvenons-nous qu’elle est faite d’un noble acier et ne permettons pas qu’elle se transforme, entre nos mains, en l’infâme couteau meurtrier du bouclier. »
    Le vieillard soupira et se mit à trembler, légèrement, dans le vent venu des fenêtres qui rabattait ses cheveux sur son front. Il regarda dans le vague, par-dessus les têtes de la congrégation, comme si, dans ses rêveries de vieillard, il avait oublié leur présence. Puis il baissa les yeux vers les bancs à moitié vides et sourit.
    Sous sa direction, les assistants bourdonnèrent une dernière prière, entonnèrent un dernier cantique. Mais Noah ne les entendit pas. Les mots du vieux prêtre avaient éveillé en lui une étrange excitation, une tendresse infinie envers le vieillard, envers les gens qui l’entouraient, envers les soldats en attente auprès de leurs canons, de part et d’autre de la Manche, envers tout ce qui vivait et était sur le point de mourir. Ils l’emplissaient d’un mystérieux espoir. Logiquement, il n’eût pas dû être d’accord avec les paroles du vieux prêtre. Cible lui-même et entraîné pour tuer, Noah savait qu’il était impossible d’être aussi strictement chrétien que le vieillard le demandait. L’essayer pèserait lourdement sur les épaules de sa propre armée et donnerait à l’ennemi moins scrupuleux un avantage qui, tôt ou tard, pourrait lui coûter sa propre vie. Et pourtant le sermon du vieux prêtre l’emplissait d’espoir. Si, en un tel temps, en un tel lieu, où venait à peine de se dissiper la fumée des sept derniers obus, dans une église déjà mutilée par la guerre, parmi des soldats déjà blessés et des civils déjà endeuillés, une voix pouvait s’élever, prêchant passionnément la fraternité et la miséricorde, sans

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