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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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crainte de censure ni de représailles, alors, le monde n’était pas perdu. De l’autre côté de la Manche, Noah le savait, aucune voix ne pouvait s’élever ainsi, et, de l’autre côté de la Manche, se trouvaient les hommes qui, tôt ou tard, connaîtraient la défaite. Le monde ne tomberait pas entre leurs mains, mais entre les mains de ces gens qui étaient assis, et dont certains somnolaient, un peu, (levant les yeux à présent indulgents du vieux prêtre. « Aussi longtemps, pensa Noah, que de telles voix pourraient s’élever dans le monde, sévères, illogiques et aimantes, son fils et le fils de son fils vivraient dans une époque de confiance et d’espoir… »
    –  Amen, dit le prêtre.
    –  Amen, répéta l’assistance.
    Noah se leva lentement et sortit. Parvenu à la porte, il s’arrêta et attendit. À l’extérieur, un enfant, armé d’un arc et d’une flèche, visait l’un des blocs de béton antitanks. Il manqua son coup, alla chercher sa flèche et visa de nouveau.
    Le prêtre vint jusqu’à la porte et serra gravement la main de ses paroissiens, tandis qu’ils défilaient devant lui, pressés de rejoindre leurs foyers et leur ration hebdomadaire de rôti. Ses cheveux flottaient plus que jamais dans le vent, et Noah constata que les mains du vieillard tremblaient comme des feuilles. Il paraissait très vieux et très frêle.
    Noah attendit que toute l’assemblée se soit dispersée. Puis, au moment où le prêtre allait rentrer dans l ’église, il le rejoignit.
    –  Mon Père, murmura-t-il, sans savoir exactement ce qu’il allait dire, incapable de traduire en mots de tous les jours la vague d’espoir et de reconnaissance qui venait de le submerger, mon Père…, j’ai attendu…, je regrette de ne pas pouvoir mieux le dire, mais… merci.
    Le vieil homme le regarda. Ses yeux étaient sombres, entourés de rides cireuses, clairvoyants et tragiques. Il hocha lente ment la tête et serra la main de Noah. Sa main était sèche et d’une fragile transparence, et Noah la secoua avec précaution.
    –  Merci, dit le prêtre. C’est surtout à vous autres, jeunes gens, que je m’adresse, car c’est à vous qu’il appartient de prendre les décisions… Merci.
    Il examina curieusement l’uniforme de Noah.
    –  Ah… Canadien, n’est-ce pas ? demanda-t-il poliment.
    Noah ne put s’empêcher de sourire.
    –  Non, mon Père, dit-il. Américain.
    –  Américain. Ah !… dit le vieillard, perplexe. Ah oui ! parfaitement.
    Noah eut l’impression que le vieillard n’avait pas encore pleinement digéré le fait que l’Amérique était en guerre, qu’on avait dû le lui dire et qu’il l’avait oublié une douzaine de fois, et que, pour lui, les uniformes n’étaient pas différents les uns des autres.
    –  Soyez le bienvenu, dit le vieillard d’un ton chaleureux et vague. Soyez le bienvenu… Ah! ajouta-t-il soudain en jetant un coup d’œil vers les fenêtres de l’église, excusez-nous pour les vitres brisées. Vous avez dû être exposé à un courant d’air terrible…
    –  Non, mon Père, dit Noah, et, de nouveau, il ne put s’empêcher de sourire. Je n’ai pas spécialement remarqué.
    –  C’est très gentil à vous de dire ça… L’Amérique, hein ?
    (De nouveau, cette petite note de perplexité incrédule.)
    –  Dieu vous bénisse, mon fils, et puissiez-vous rentrer chez vous et retrouver tous les êtres qui vous sont chers lorsque seront terminés les jours terribles qui nous attendent.
    Il fit quelques pas à l’intérieur de l’église, se retourna brusquement et revint vers Noah.
    –  Dites-moi, mon fils, demanda-t-il.
    Il semblait avoir retrouvé soudain l’énergie bouillonnante d’un tout jeune homme.
    –  Dites-moi franchement : croyez-vous que je sois un vieil imbécile ?
    Il s’empara du bras de Noah et le serra avec une fermeté et une force surprenantes.
    –  Non, mon Père, dit doucement Noah. Je crois que vous êtes un grand homme.
    Le vieillard jeta à Noah un regard perçant. Il cherchait évidemment à déterminer si Noah était sincère ou s’il se moquait, ou s’abstenait simplement, par égard pour son âge, de contrarier ses opinions surannées. Son examen parut le satisfaire. Il lâcha le bras de Noah et tenta de sourire ; tout son visage tremblait.
    –  Mon fils, ô mon fils… murmura-t-il.
    Il secoua la tête.
    –  Les vieillards ne savent plus très bien, parfois, dans quel monde ils

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