Le Bal Des Maudits - T 2
mains.
Involontairement, le Français ferma les yeux, et un long soupir de désespoir s’exhala de ses lèvres fendues.
– Non, chuchota-t-il. C’est une terrible erreur. Je ne sais rien.
Puis, avec une logique désespéré :
– Je n’ai même pas de bicyclette.
– Vous n’êtes pas obligé de rester, sergent, dit le lieutenant à Christian.
– Merci, mon lieutenant, répondit Christian.
Sa voix était loin d’être ferme. Il sortit, referma soigneusement la porte derrière lui et s’adossa au mur du corridor. Le visage inexpressif, un S. S. montait la garde, près de la porte, appuyé sur son fusil.
Trente secondes plus tard, le cri prit Christian à la gorge et parut résonner jusque dans ses poumons. Il ferma les yeux, pressant contre le mur froid la partie postérieure de sa tête.
Il savait que des choses de ce genre se produisaient de temps en temps, mais il paraissait impossible qu’elle se fût produite, ici, par un après-midi ensoleillé, dans une salle poussiéreuse de la mairie d’un petit village, en face d’une charcuterie à la vitrine festonnée de saucisses, devant la caricature d’un gros homme nu au derrière criblé de trous innombrables.
Au bout d’un instant, le lieutenant sortit à son tour. Il souriait.
– Ça y est, dit-il. Les méthodes directes. La seule façon d’agir. Restez ici, sergent, je reviens tout de suite.
Il disparut dans une autre pièce.
Christian et le S. S. s’appuyèrent au mur. Le S. S. alluma une cigarette, sans en offrir une à Christian. Il fuma, les yeux fermés, adossé au mur craquelé de la vieille mairie, comme s’il avait voulu dormir debout. Christian vit deux soldats sortir de la salle dans laquelle le lieutenant était entré et se diriger vers la rue. Derrière la porte contre laquelle il s’appuyait, Christian entendait une rumeur de sanglots, ascendante et descendante, une sorte d’incantation monotone sans paroles intelligibles.
Cinq minutes plus tard, les deux soldats revinrent, en compagnie d’un petit homme gras et chauve, dont les yeux erraient incessamment d’un mur à l’autre, dans une apothéose de terreur. Les soldats le poussèrent dans la pièce où le lieutenant attendait. Un peu plus tard, l’un des soldats ressortit.
– Il vous demande, sergent ! cria-t-il à Christian.
Christian gagna lentement l’autre pièce. Le petit
Français chauve et gras était assis par terre, sanglotant, au milieu d’une mare sombre qui prouvait que ses reins l’avaient trahi, en cette heure de désespoir. Le lieutenant était assis derrière un bureau et tapait une lettre. Dans un coin, un employé glissait de l’argent dans des enveloppes de paye, et un autre regardait, par la fenêtre, une jeune maman portant un enfant blond pénétrer dans une charcuterie.
A l’entrée de Christian, le lieutenant leva les yeux.
– Est-ce l’autre ? demanda-t-il en désignant le Français affaissé sur le sol.
Christian le regarda quelques secondes.
– Oui, dit-il.
– Emmenez-le ! ordonna le lieutenant.
Le soldat quitta la fenêtre et s’approcha du Français, qui regardait Christian, une lueur de démence au fond des prunelles.
– Je ne l’ai jamais vu, dit l’homme.
Le soldat le saisit au collet et le remit sur pieds, d’un seul coup.
– Devant Dieu, mon seul juge, je n’ai jamais vu cet homme auparavant…
Le soldat l’entraîna.
– Et voilà, dit le lieutenant en souriant avec satisfaction. Affaire classée. Je n’ai plus qu’à envoyer les papiers au colonel, et, ensuite, je m’en lave les mains. Désirez-vous rejoindre immédiatement votre compagnie ou rester ici ce soir – nous avons un très bon mess pour sergents – et assister à l’exécution, demain matin ? Elle aura lieu vers six heures. C’est comme vous voudrez…
– J’aimerais rester, dit Christian.
– Très bien, dit le lieutenant. Le sergent Decher est à côté. Allez le trouver de ma part et dites-lui de vous arranger quelque chose pour la nuit. Je vous verrai à six heures moins le quart demain matin.
Il retourna à sa lettre, et Christian sortit de la pièce.
L’exécution eut lieu dans la cave de la mairie. Il y avait un long sous-sol humide, éclairé par deux ampoules nues situées très près du plafond. Le sol était de terre battue. Il y avait, à une extrémité, deux poteaux enfoncés dans le sol, et deux minces cercueils de bois blancs, qui gisaient derrière les poteaux, sous la
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