Le Bal Des Maudits - T 2
embuscade, avaient perdu huit hommes et s’étaient rapidement repliés, laissant des hommes égarés dans toutes les fermes et tous les bosquets d’alentour. Vers sept heures du matin, une sentinelle allemande, effrayée, avait abattu Penschwitz, à proximité d’une batterie de D. C. A., et la compagnie s’était dispersée, jusqu’à ce que, profitant d’une courte accalmie, derrière le mur de pierre d’une vieille grange normande, au milieu d’un troupeau de vaches, noires et blanches, qui les regardaient d’un air soupçonneux Christian puisse enfin faire le compte des hommes. Il n’en restait que douze, et aucun officier.
« Formidable, pensa cyniquement Christian en regardant distraitement les vaches, cinq heures de guerre et plus de compagnie. Si toute l’armée en fait autant, la guerre sera finie pour l’heure du dîner. »
Mais, à en juger par le vacarme, le reste de l’armée devait être en meilleure position. Le bruit des salves allemandes paraissait méthodique, organisé. L’artillerie tirait régulièrement, et non plus en désordre, par coups isolés.
Christian examina le reste de la compagnie. L’un des hommes avait commencé à se creuser un trou, et les autres imitaient son exemple. Ils creusaient fiévreusement la terre meuble, à la base du mur, et cinq ou six d’entre eux étaient déjà dans leurs trous jusqu’aux hanches, la glèbe retournée gisant autour d’eux en mottes brunes.
« Inutiles, pensa Christian, inutiles. » Il avait vu trop d’hommes affolés depuis le début de la guerre pour garder aucune illusion sur le compte de ceux-ci. À côté d’eux, Heims et Dohn et Richter, en Italie, avaient été des héros de première grandeur. Il pensa un instant à s’esquiver, tout seul, à chercher une compagnie qui combattait encore, à la rejoindre et à abandonner ce bétail à son triste sort. Puis il réfléchit. « Ils se battront aujourd’hui, pensa-t-il farouchement, même si je dois les conduire au combat sous la menace d’une mitrailleuse. »
Il s’approcha de l’un des hommes qui, plié en deux, tentait de couper une racine qu’il avait rencontrée sous le fer de sa bêche, à soixante centimètres de profondeur. Christian le frappa, du pied, et l’homme tomba en avant, le nez dans une motte de terre.
– Sortez de vos saloperies de trous ! hurla Christian. Qu’est-ce que vous avez l’intention de faire ? D’attendre que les Américains viennent vous y cueillir ? Sortez de là-dedans.
Il donna un coup de pied dans les côtes du soldat suivant. L’homme ne s’était pas arrêté de creuser. Il n’avait même pas paru entendre Christian, et son trou était le plus profond de toute la compagnie. Il soupira et, sans regarder Christian, remonta à la surface.
– Venez avec moi, dit Christian. Vous autres, restez ici. Mangez quelque chose. Vous n’en aurez sans doute plus l’occasion avant un bon bout de temps. Nous revenons tout de suite.
Il poussa devant lui l’homme qu’il venait de frapper, et tous deux se dirigèrent vers la maison, sous les yeux soupçonneux des hommes et des vaches.
La porte de derrière était verrouillée. Christian frappa, de toutes ses forces, avec la crosse de sa mitraillette. Le soldat – Christian se rappela soudain qu’il s’appelait Buschfelder – sursauta en entendant le bruit, et Christian secoua la tête. « Inutile, pensa-t-il, aucun d’entre eux n’est plus bon à rien. »
Il frappa une seconde fois. Il y eut, à l’intérieur, le bruit d’un verrou tiré. La porte s’ouvrit, et une vieille femme apparut, petite et grasse dans un tablier vert. Elle n’avait plus de dents et crispait en tremblant ses lèvres ridées.
– Nous ne sommes pas responsables, commença-t-elle.
Christian la repoussa et Buschfelder le suivit. C’était un type énorme, puissant, et sa silhouette emplissait littéralement la cuisine.
Christian regarda autour de lui. La pièce était noire et sombre. Deux cafards traversaient calmement le poêle froid. Il y avait du beurre, sur la fenêtre, enveloppé dans des feuilles de chou, et un énorme pain au centre de la table.
– Prenez le beurre et le pain, dit Christian à Buschfelder.
Puis il ajouta en français, à l’adresse de la vieille :
– Je veux tout l’alcool de la maison, la mère. Vin, calvados, marc, tout ce que vous avez. Et, si vous essayez d’en garder une goutte, nous brûlons la maison et tuons toutes vos vaches.
La
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