Le Bal Des Maudits - T 2
vieille femme regardait, tremblante, Buschfelder s’emparer du beurre et du pain. Mais, lorsque Christian parla, elle lui fit face.
– C’est de la barbarie, dit-elle. Je vous dénoncerai au commandant. Notre famille est très bien avec lui, et ma fille travaille chez lui…
– Tout votre alcool, la mère ! aboya Christian. Vite !
Il remua son fusil, d’un air menaçant.
La vieille se dirigea vers un coin de la cuisine et souleva une trappe.
– Aloïs, appela-t-elle, et l’écho de sa voix se répercuta dans la cave, sous leurs pieds. Aloïs, c’est des soldats. Ils demandent notre calvados. Monte-le. Monte tout. Ils tueraient nos vaches.
Christian sourit, regarda par la fenêtre. Les hommes étaient toujours au même endroit. Deux autres les avaient rejoints. Ils n’avaient pas de fusils et parlaient en gesticulant aux hommes réunis en cercle autour d’eux.
Il y eut un bruit de pas sur les marches de la cave, et Aloïs fit son apparition, portant une cruche de grès qui devait contenir plus de deux litres. Il avait au moins soixante ans et était usé et contrefait par un demi-siècle de cultures normandes. Ses grandes mains déformées tremblaient sur l’anse de la cruche.
– Voilà, dit-il. Mes meilleures pommes. Et c’est tout ce qui me reste.
Christian s’empara du calvados..
– Il nous remercie, dit amèrement la vieille. Mais il ne parle pas de nous payer.
– Vous soumettrez votre facture, dit Christian, soudain amusé, à votre ami le commandant. Venez, Buschfelder.
Buschfelder sortit. Il y eut, très proche, une salve d’armes portatives, et le grondement d’avions volant en rase-mottes.
– Qu’est-ce que c’est ? cria Aloïs. Le débarquement ?
– Non, dit Christian. Ce sont les grandes manœuvres.
– Que va-t-il arriver à nos vaches ? gémit Aloïs. Où faut-il que nous mettions nos vaches ?
Christian ne répondit pas. Il regagna le mur de la vieille grange et posa la cruche sur le sol.
– Buvez, dit-il. Buvez ce que vous pouvez boire et mettez en dans vos bidons. Dans dix minutes, vous serez prêts à combattre un régiment.
Il leur sourit, mais personne ne lui rendit son sourire. Un par un, ils s’approchèrent et burent et versèrent de l’alcool dans leurs bidons.
– Allez-y, insista Christian. Pas de fausse honte. C’est la tournée du Führer.
Les deux nouveaux venus s’approchèrent à leur tour. Ils burent avidement. Leurs yeux étaient rouges et hagards, et ils renversèrent de l’alcool sur leurs uniformes.
– Qu’est-ce qui vous est arrivé, à vous deux ? demanda Christian lorsqu’ils eurent reposé la cruche.
Les deux hommes se regardèrent. Aucun des deux ne parla.
– Ils étaient à deux kilomètres d’ici, dit Stauch, l’un des hommes de Christian. Il mordait dans un gros morceau de beurre prélevé sur la motte et le faisait couler à coup de calvados. Deux kilomètres, tout un bataillon, et ils ont été encerclés, et ils sont les derniers survivants. Des parachutistes américains. Ils ne font pas de prisonniers. Ils tuent tout le monde. Ils sont tous ivres. Et il y a aussi des tanks et de l’artillerie lourde… Des milliers. Ils occupent tout le terrain d’ici à la côte et il n’y a plus de résistance organisée…
Les deux rescapés approuvaient énergiquement, en regardant alternativement les visages de Stauch et de Christian.
– Nous sommes coupés des autres, ici, d’après eux, continua Stauch. Un agent de liaison du quartier général divisionnaire a dit qu’il n’y avait plus personne, là-bas. Ils ont abattu le général et poignardé deux colonels…
– Bouclez-la, coupa Christian.
Il se tourna vers les deux fugitifs.
– Foutez le camp d’ici, ordonna-t-il.
– Mais… où aller ? demanda l’un des survivants. C’est plein de parachutistes et…
– Foutez le camp ! répéta Christian, maudissant la déveine qui avait permis à ces hommes de causer cinq minutes avec sa propre escouade. Si vous êtes encore là dans une minute, nous allons vous tirer dessus, et, si je vous revois dans les parages, je vous fais passer en Conseil de guerre pour désertion…
– Mais, sergent…
– Une minute ! dit Christian.
Les deux hommes regardèrent autour d’eux, terrorisés, pivotèrent et s’éloignèrent au petit trot. Puis ils furent pris de panique, se mirent à courir et disparurent bientôt derrière la haie d’un champ voisin.
Christian but une
Weitere Kostenlose Bücher