Le Bal Des Maudits - T 2
la face faisait toujours son bruit de noyade lorsque Christian le laissa derrière lui, mais le son était de plus en plus faible, et de plus en plus irrégulier.
Deux fois, ils s’arrêtèrent, pour regarder des tanks allemands descendre à l’aveuglette, vers les plages, et ce spectacle les rassura. Une autre fois, ils virent une Jeep, occupée par trois Américains, disparaître derrière une ferme, et Christian sentit déferler sur ses hommes le désir tremblant de courir, de se jeter à terre, de pleurer, de mourir, d’en finir une fois pour toutes. Ils dépassèrent deux vaches mortes, éventrées par des obus, qui gisaient, pattes en l’air, dans le coin d’une prairie. Un cheval emballé fonça vers eux, s’arrêta court et redémarra tout aussi follement, dans le martèlement étouffé de ses sabots sur la glaise. Les champs étaient clairsemés, au petit bonheur, de cadavres de soldats allemands et américains, mais il était impossible de dire, d’après leurs positions, dans quelle direction avaient tiré leurs armes et s’était éloignée la bataille. De temps à autre, des obus passaient en sifflant au-dessus de leurs têtes. Dans un champ, en ligne droite, presque mathématiquement espacés, s’étaient écrasés les corps de cinq Américains dont les parachutes ne s’étaient pas ouverts. Ils avaient frappé le sol avec une telle violence que leurs corps s’y étaient enfoncés, que leurs courroies avaient éclaté et que leur équipement gisait éparpillé autour d’eux.
comme autant de paquetages préparés pour l’inspection par des soldats complètement ivres.
Puis, à l’autre bout de la file, Christian vit Stauch lui faire signe d’approcher. Plié en deux, il courut jusqu’à lui. Lorsqu’il parvint à l’extrémité du fossé, Stauch lui montra, dans la haie voisine, une petite ouverture. A vingt mètres, de l’autre côté, Christian aperçut deux parachutistes en train de se faire la courte échelle pour tenter de dégager un de leurs camarades dont le parachute s’était accroché aux branches d’un arbre et qui se balançait, impuissant, à deux mètres au-dessus du sol. Christian tira, deux courtes rafales, et les deux Américains qui étaient sur la terre ferme s’écroulèrent immédiatement. L’un d’eux tenta de se redresser. Christian tira, de nouveau, et l’homme ne bougea plus.
Le pendu tira furieusement sur les cordes de son parachute, mais il lui était impossible de se libérer.
Christian entendit Stauch avaler bruyamment sa salive. Il fit signe à trois hommes de le suivre et tous quatre avancèrent prudemment jusqu’à l’endroit où l’Américain suspendu oscillait doucement au-dessus des cadavres de ses deux camarades.
Christian leva les yeux vers l’Américain.
– Comment trouves-tu la France, Sammy ? demanda-t-il.
– Je t’emmerde, mon pote, répondit le parachutiste.
Il avait un dur visage d’athlète, avec un nez de boxeur et des yeux froids et durs. Il cessa de s’agiter au bout de ses cordes et regarda Christian.
– Je vais te dire une bonne chose, tête de Boche, continua-t-il. Coupe ces ficelles et j’accepte de vous faire tous prisonniers.
Christian lui sourit. « Si seulement j’en avais quelques-uns comme lui avec moi, songea-t-il, au lieu de ces vers de terre… »
Il logea quelques balles dans la tête du parachutiste.
Avant de repartir, il tapota la jambe pendante du mort, d’un geste qu’il ne comprit pas lui-même, et qui contenait de l’admiration, de la pitié, de la raillerie. Puis ils rejoignirent le reste de l’escouade. « Ah, pensait Christian, s’ils sont tous comme celui-là, nous ne sommes pas de force à lutter avec eux. »
Vers dix heures du matin, ils rencontrèrent un colonel qui se repliait vers l’est avec ce qui restait du quartier général régimentaire. Ils se battirent deux fois, avant midi, mais le colonel connaissait son métier, et ils restèrent groupés et continuèrent leur route. Les hommes de Christian ne se battirent ni mieux ni plus mal que les autres hommes placés sous le commandement du colonel. Lorsque vint le soir, quatre d’entre eux avaient été tués et Stauch s’était tiré une balle dans la tête lorsqu’il avait eu la jambe brisée par une balle de mitrailleuse et qu’il avait compris que, lui aussi, serait laissé en arrière. Mais ils se battirent courageusement, et aucun d’entre eux ne parla plus de se rendre, bien que les occasions ne
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