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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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retrouve, je te tranche la gorge avec mon rasoir.
    –  Enchanté d’avoir fait ta connaissance, dit légèrement Michael. Va nettoyer les marmites, à présent.
    Il jeta son marteau et se dirigea nonchalamment vers la salle du rapport, palpant sa poche-revolver pour s’assurer que la bouteille était bien invisible.
    Avec son ordre de transfert dans sa poche et un joli bandage en travers de la joue, Michael alla préparer ses paquets. Le colonel Pavone avait demandé son transfert, et Michael avait ordre de le rejoindre immédiatement à Londres. Tout en faisant son paquetage, Michael s’accorda une nouvelle gorgée de gin et se jura, à l’avenir, de ne courir aucun risque, de ne jamais se porter volontaire pour quoi que ce soit et de ne rien prendre au sérieux. « Survivre, pensa-t-il, survivre ; c’est la seule leçon que j’aie apprise jusqu’alors. »
    Il se rendit à Londres le lendemain matin, dans un camion de l’armée. Les villageois qu’ils croisaient sur les routes les acclamaient et levaient deux doigts en forme de V, car ils s’imaginaient que tous les camions militaires étaient désormais en route pour la France. Michael et les autres leur rendaient cyniquement leurs saluts, en ricanant et plaisantant.
    Peu de temps avant d’arriver à Londres, ils dépassèrent un convoi britannique chargé à bloc de fantassins. Sur le dernier camion, l’un d’eux avait écrit, à la craie : « Ne nous acclamez pas, jeunes filles, nous sommes Anglais. »
    Les fantassins britanniques ne levèrent même pas les yeux lorsque le camion américain dépassa leur convoi.

28
     
     
     
    U NE bataille existe, dans le temps et dans l’espace, sur de nombreux plans différents. Il y a le plan purement moral, au Grand Quartier Général, à cent kilomètres ou plus du grondement des canons, où les classeurs viennent d’être époussetés, où règne une atmosphère tranquille et compétente, où les membres du haut Commandement – ces soldats qui jamais n’ont tiré un coup de feu, et jamais n’ont essuyé, ni jamais n’essuieront le feu de l’ennemi – siègent dans leurs uniformes fraîchement pressés, et attestent par leurs rapports érudits que rien n’a été négligé, dans la mesure des possibilités humaines, le reste étant laissé au jugement de Dieu, qui, tôt levé ce matin-là, en vue de cette dure journée de travail, examine d’un œil critique et impartial les navires coulés, les hommes noyés dans l’onde amère, la précision des bombardiers, l’habileté des officiers de la Flotte, les corps dispersés dans les airs par l’explosion des mines, le flux et le reflux des marées sur les chevaux de frise entassés sur les plages, l’activité fébrile des servants des canons, et les bâtiments de l’arrière, où, loin du champ de bataille où s’affrontent deux armées, viennent d’être époussetés les classeurs, où, dans d’autres uniformes fraîchement pressés, les généraux ennemis siègent devant des cartes semblables, lisent des rapports similaires et font assaut d’énergie morale et de puissance intellectuelle avec leurs collègues et antagonistes assis derrière leurs bureaux, à deux cents kilomètres de là. En ces lieux, sur les cartes immenses revêtues d’acétate et barrées d’épaisses lignes rouges et noires, la bataille affecte rapidement une forme schématique et scrupuleusement ordonnée. Un plan est toujours en cours de développement, sur les cartes. Si le Plan I échoue, le Plan II lui succède. Si le Plan II ne réussit qu’en partie, est immédiatement instituée une modification depuis longtemps prévue du Plan III. Émoulus de West Point, Sandhurst ou bien Spandau, les généraux ont puisé leur science dans les mêmes ouvrages, beaucoup en ont écrit eux-mêmes et ont lu les ouvrages des autres, et tous savent ce que fit César dans une situation analogue et quelle erreur commit Napoléon en Italie, et comment Ludendorff ne sut pas exploiter une percée en 1915, et tous espèrent, de part et d’autre de la Manche, que la situation n’en viendra jamais à ce point décisif où il leur faudra prononcer le oui ou le non qui pourront décider du sort de la bataille et peut-être de la nation, ce refus ou cet acquiescement qui vident complètement un homme et peuvent, une fois prononcés, ruiner sa vie, détruire sa réputation, réduire à néant la longue liste de ses titres honorifiques. Assis dans leurs bureaux, qui ressemblent à

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