Le Bal Des Maudits - T 2
fenêtre, et, près de lui, Burnecker retenait son souffle et pressait délibérément la détente. Noah entendit un long cri aigu et se demanda qui pouvait bien brailler ainsi. Il lui fallut un certain temps pour comprendre que c’était lui. Alors, il s’arrêta.
Ils tiraient aussi, du rez-de-chaussée, et les silhouettes grises tombaient et se relevaient, et rampaient, et tombaient encore. Trois d’entre elles s’approchèrent assez près pour lancer des grenades, mais manquèrent les fenêtres, et leurs grenades explosèrent futilement contre les murs. Rickett les cueillit tous les trois d’une rafale.
Les autres silhouettes grises s’arrêtèrent. Une seconde, elles demeurèrent immobiles, silencieuses, debout dans la glaise gluante de la cour. Puis elles tournèrent les talons et s’enfuirent en courant.
Noah les regarda, stupéfait. Il ne lui était jamais venu à l’idée que l’ennemi pourrait ne pas atteindre la maison.
– Allons, allons ! hurlait Rickett en rechargeant fiévreusement son arme. Tuez-moi szes szalauds ! Tuez-les…
Noah s’ébroua, visa soigneusement un homme qui courait d’une façon bizarrement asymétrique. Il avait perdu son fusil, et la boîte de son masque à gaz rebondissait comiquement sur sa hanche. Noah loucha, pressa doucement la détente, à l’instant précis où l’homme allait disparaître derrière la grange. Le métal était chaud sous ses doigts. L’homme s’étala dans la glaise et ne bougea plus.
– Sz’est sza, Ackerman, sz’est sza, jubila Rickett. Sz’est comme sza qu’y faut faire !
L’espace qui séparait le hangar de la grange était désert, à présent, en dehors des silhouettes grises qui ne bougeait plus.
– Ils sont partis, dit bêtement Noah. Ils ne sont plus là.
Il sentit sur sa joue une pression humide. Burnecker l’embrassait. Burnecker pleurait, riait et l’embrassait.
– À terre ! brailla Rickett. Couchez-vous, vite !
Ils s’accroupirent. Une demi-seconde plus tard,
ils entendirent le sifflement, à travers la fenêtre. Les balles s’écrasèrent sur le mur, juste au-dessous du Normandie.
« Très gentil de la part de Rickett, pensa Noah. Très gentil, et plutôt surprenant. »
La porte s’ouvrit, et le lieutenant Green entra. Ses yeux étaient granuleux et rouges, et sa mâchoire béait d’épuisement. Il s’assit lentement sur le lit, soupira, et laissa tomber ses bras entre ses jambes. Il oscilla un instant au bord du lit, et Noah craignit, vaguement, de le voir s’effondrer en arrière et s’endormir sur le couvre-pied brodé.
– On les a eus, mon lieutenant, dit Rickett, enchanté. On leur en a injecté une bonne dose.
– Oui, approuva le lieutenant Green de sa voix féminine, on les a bien assaisonnés. Personne de blessé, ici ?
– Pas iszi, crâna Rickett. Y a une drôle d’équipe, iszi !
– Morrison et Seeley ont leur compte, dans l’autre pièce, dit Green avec lassitude. Et, Fein, en bas, a une balle dans le poumon.
Noah revit Fein. Ses épaules énormes, son visage dur, son cou de taureau, l’infirmerie, en Floride, et Fein lui disant : « Après la guerre, tu pourras choisir tes fréquentations, mais pour l’instant… »
– Néanmoins… dit le lieutenant avec une vivacité soudaine, comme s’il se fût apprêté à faire un discours. Néanmoins…
Il s’arrêta, regarda vaguement autour de lui.
– Est-ce que ce n’est pas le Normandie ? s’informa-t-il.
– Oui, dit Noah.
Green sourit comme un imbécile.
– Je crois que je vais partir en croisière, dit-il.
Personne ne rit.
– Néanmoins, répéta Green en passant sa main sur ses yeux… quand il fera nuit, on tentera une sortie. Nous n’avons presque plus de munitions, et, s’ils essaient une seconde fois, nous sommes cuits. Cuits au beurre avec de la moutarde, dit-il vaguement. Dès qu’il fera nuit, chacun pour soi. Nous partirons deux par deux ou trois par trois. Deux par deux, trois par trois, fredonna-t-il, la compagnie se divisera en petits groupes de deux ou trois.
– Mon lieutenant, demanda Rickett, de la fenêtre où, obstinément, il guettait toujours l’ennemi. Mon lieutenant, est-sze que sz’est un ordre du capitaine Colclough ?
– C’est un ordre du lieutenant Green, répliqua le lieutenant.
Il s’esclaffa, reprit son sérieux et, d’une voix plus ferme :
– J’ai assumé le commandement.
– Le capitaine est mort ? s’informa
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