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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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surface brillante et lisse de la table. Le plus tôt possible…
    –  Mon capitaine, dit le lieutenant Green, dans une heure, il fera nuit noire, et, si nous voulons nous sortir d’ici, ce sera le moment d’essayer…
    Mais le capitaine Colclough s’était retiré dans son rêve personnel, et il ne répondit pas ni ne leva les yeux lorsque le lieutenant Green cracha sur le tapis, à ses pieds, et retourna dans le salon, où le caporal Fein venait de recevoir une balle dans le poumon.
    Au premier étage, dans la chambre à coucher du maître. et de la maîtresse de céans, Rickett, Burnecker et Noah surveillaient l’espace de terre meuble qui séparait la grange du hangar où étaient remisés la voiture-du fermier et les instruments agricoles. Au mur pendaient un crucifix de bois, et une photo de mariage du fermier et de son épouse, raides et pleins du sentiment de leurs responsabilités réciproques. Au centre d’un autre mur, trônait une affichette encadrée de la Compagnie Générale Transatlantique, représentant le paquebot Normandie voguant sur une mer calme d’un bleu étonnant.
    Il y avait un couvre-pied brodé sur le grand lit de bois, des petits napperons de dentelle sur le secrétaire et un chat de porcelaine sur la cheminée.
    « Quel endroit, pensa Noah en rechargeant son fusil, quel endroit pour livrer ma première bataille ! »
    Une fusillade nourrie éclata à l’extérieur. Rickett, qui se tenait près d’une des deux fenêtres, une mitraillette Browning au poing, s’aplatit contre le papier de tenture à grosses fleurs. Le verre qui recouvrait Le Normandie éclata en mille morceaux. Le paquebot trembla sur le mur, gravement endommagé au-dessous de la ligne de flottaison. Mais le cadre ne tomba pas.
    Noah regarda le grand lit aux couvertures impeccablement tirées. Il avait une envie folle de se glisser sous le sommier. Il fit un pas vers lui, de la fenêtre où il se trouvait. Il tremblait de tous ses membres. Lorsqu’il voulut remuer les mains, elles décrivirent de grands gestes inconscients, renversant un petit vase bleu posé au centre de la pièce, sur le guéridon recouvert d’un tapis brodé.
    Si seulement il pouvait se fourrer sous le lit, il serait en sécurité. Il ne mourrait pas. Il pourrait se cacher, dans la poussière, sur le plancher rugueux, hérissé d’échardes. Tout ceci était parfaitement ridicule. À quoi bon se relever pour se faire tuer dans une petite pièce aux murs tapissés de papier à grosses fleurs, au premier étage d’une ferme cernée par la moitié de l’armée allemande. Ce n’était pas sa faute s’il était ici. Il n’avait pas pris le chemin entre les haies, il n’avait pas perdu le contact avec la compagnie L, il n’avait pas négligé de s’arrêter et de creuser un trou où il était supposé le faire, alors, quel droit avait-on de lui demander d’attendre derrière ces fenêtres, aux côtés de Rickett, que les Allemands rectifient leur tir et lui fassent sauter la cervelle ?…
    –  Retourne à ta fenêtre ! criait frénétiquement Rickett. Tout de szuite ! Szes szalauds-là attaquent…
    Rickett s’exposait follement à la fenêtre, tirant de sa hanche, en éventail, de courtes salves meurtrières, bras et épaules rudement secoués par le recul.
    « Pendant qu’il ne regarde pas, pensa Noah avec un sourire rusé. Pendant que personne ne regarde, je vais me glisser sous le lit, et personne ne saura où je suis passé. »
    À l’autre fenêtre, Burneker tirait sans relâche, en hurlant :
    –  Noah ! Noah !
    Noah jeta au lit un dernier regard nostalgique. Il était frais et propre et lui rappelait le sien, le leur, là-bas, en Amérique. Le crucifix se détacha soudain du mur et tomba sur le couvre-pied : le Fils de Dieu réduit en miettes.
    Noah courut à la fenêtre et s’accroupit près de Burnecker. Il tira deux fois, à l’aveuglette, entre la grange et le hangar. Puis il regarda. Les silhouettes grises couraient vers la maison, à une vitesse inconcevable, pliées en deux, en un groupe compact.
    « Oh ! pensa Noah, en visant soigneusement (bien aligner le guidon de visée, le point de mire et le centre de la cible. Même un vieillard rhumatisant ne peut manquer son coup), oh ! pensa Noah, en tirant sur les silhouettes courbées, ils ne devraient pas faire ça. Ils ne devraient pas venir tous ensemble, comme ça. Il avait à peine conscience de tirer. Rickett faisait feu sans arrêt, à l’autre

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