Le Bal Des Maudits - T 2
et je me noyais.
– Les nôtres sont juste de l’autre côté de ce canal, dit Noah.
– Ils vont nous tirer dessus, objecta Cowley. Les nôtres ou pas les nôtres, ils vont nous tirer dessus sans poser de questions. Ils vont nous repérer dans l’eau et nous arroser. Et puis, d’abord, je ne sais pas nager.
Noah eut envie de hurler. De s’éloigner de Cowley, de Burnecker, du canal, de l’armée américaine et de hurler à gorge déployée.
La mitrailleuse tira une seconde fois. Ils regardèrent les balles traçantes évoluer au-dessus de leurs têtes.
– Ce salaud-là est trop nerveux, dit Cowley, il ne posera pas de questions.
– Déshabille-toi, coupa Noah d’une voix contenue. Complètement. Au cas où ce serait trop profond.
Il se mit à délacer ses brodequins. Burnecker imita son exemple.
– Rien à faire, dit Cowley. J’en ai assez…
– Cowley… commença Noah.
– Je te parle plus. J’en ai marre de tes histoires. Je sais pas ce que tu as l’intention de faire, mais, tout ce qu’il y a de sûr, c’est que j’en suis pas. Je t’ai toujours pris pour un cinglé, en Floride, et je crois que t’es encore plus cinglé, maintenant. Et je sais pas nager, tu m’entends ? Je sais pas nager…
Cowley criait presque, à présent.
– Ta gueule ! gronda Noah.
S’il avait pu le faire silencieusement, il aurait probablement descendu Cowley.
Cowley se tut. Noah l’entendait respirer difficilement, mais il se taisait.
Méthodiquement, Noah ôta ses leggings, ses souliers, sa vareuse, son pantalon, ses longs caleçons de laine. Puis il ôta sa chemise, son maillot de corps de laine, remit sa chemise et la boutonna soigneusement car, dans l’une de ses poches, se trou vait son portefeuille, et, dans son portefeuille, se trouvait la carte.
L’air nocturne s’attaqua sauvagement à son corps dénudé. Il frissonna.
– Cowley, chuchota Noah.
– Foutez le camp ! dit Cowley.
– Je suis prêt, intervint Burnecker, d’une voix ferme.
Noah se leva, descendit la courte pente qui conduisait au bord du canal. Il entendit, derrière lui, le bruit étouffé des pieds nus de Burnecker. Il sauta dans l’eau d’un seul coup, ennuyé du léger « plouf » produit par l’introduction de son corps dans le canal. Il glissa sur le fond, sa tête disparut sous l’eau, et il en avala une bonne gorgée. L’eau salée le suffoqua, monta dans son nez et lui causa une douleur aiguë. Il reprit son équilibre et se tint au rivage. Sa tête dépassait largement le niveau de l’eau.
Il leva les yeux, distingua, au-dessus de lui, la tache claire du visage de Burnecker. Puis Burnecker se glissa dans l’eau, près de lui.
– Tiens mon épaule, dit Noah.
Il sentit, à travers la laine mouillée de sa chemise, la sauvage crispation des doigts de Burnecker.
Ils commencèrent leur traversée du canal. Le fond était vaseux et Noah était terriblement inquiet, au sujet des anguilles et autres serpents aquatiques. Il y avait des moules, aussi, et il dut se mordre les lèvres pour ne pas crier lorsque ses orteils entraient brusquement en contact avec leurs coquilles acérées. Ils progressaient rapidement, malgré leur appréhension des trous, et l’eau n’arrivait toujours qu’aux épaules de Noah. La marée remontait. Il en sentait la poussée sournoise, venue de l’océan.
La mitrailleuse ouvrit le feu, et ils s’arrêtèrent. Mais les balles passaient très haut, et loin d’eux, vers la droite, dans la direction générale de l’armée allemande. Pas à pas, ils s’approchèrent de l’autre rive. Noah espérait que Cowley pouvait les voir, qu’il se rendrait compte que c’était possible, même pour lui, même sans savoir nager, car il était inutile de nager. Puis, le lit du canal devint plus profond, et Noah dut nager. Burnecker, qui était plus grand que Noah, avait toujours le nez et la bouche hors de l’eau. Il plaça ses deux mains sous les aisselles de Noah et le soutint. Bientôt, ils parvinrent à proximité de l’autre rive. Elle sentait la boue saline et les mollusques pourris, comme les quais où ils péchaient, jadis. Prudemment, à tâtons, se soutenant l’un à l’autre, ils cherchèrent un endroit qu’il leur serait possible d’escalader rapidement et sans bruit. La rive, devant eux, était glissante et verticale.
– Pas ici, chuchota Noah. Pas ici.
Ils s’appuyèrent un instant contre le flanc du rivage.
– Cet abruti de
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