Le Bal Des Maudits - T 2
Cowley… dit Burnecker.
Noah acquiesça, mais il ne pensait pas à Cowley. La poussée de la marée se faisait plus forte et clapotait contre leurs épaules. Noah tapa sur le bras de Burnecker et ils longèrent prudemment la rive, dans le sens de la marée. Noah tremblait de plus en plus violemment. Il serra les dents pour tenter de les empêcher de claquer. « En juin, gouaillait-il intérieurement, je me baigne sur la côte française, sous le clair de lune du mois de juin, au mois de juin, sous le clair de lune… » Il sourit comme un idiot. Il n’avait jamais eu aussi froid de sa vie. La rive était partout abrupte, et gluante d’algues marines. Rien ne leur permettait de supposer qu’ils atteindraient un endroit praticable avant le lever du jour. Calmement, Noah envisagea de lâcher l’épaule de Burnecker, de se laisser emporter par la marée jusqu’au milieu du canal et d’y couler paisiblement, tranquillement, une fois pour toutes…
– Ici, souffla Burnecker.
Noah leva les yeux. Un léger éboulement s’était produit en cet endroit. Il y avait place pour un pied, sous la végétation glissante, et des galets ronds saillaient de place en place du rivage en pente.
Burnecker se pencha, prit dans ses paumes réunies le pied gauche de Noah. Puis il le souleva. Noah resta une seconde, frissonnant, haletant, sur le bord du canal, puis il se retourna et tendit la main à Burnecker. Leur double sortie de l’eau n’avait pas été sans provoquer un certain bruit. Une arme automatique ouvrit le feu, non loin d’eux, et les balles sifflèrent alentour. Ils coururent, glissant et chancelant sur leurs pieds nus, vers un buisson situé à une vingtaine de mètres du rivage. D’autres fusils se mirent de la partie, et Noah commença à hurler : « Arrêtez ! Cessez le feu ! Nous sommes Américains. Compagnie C ! Compagnie Charley ! »
Ils atteignirent le buisson, plongèrent à l’abri. De l’autre côté du canal, les Allemands s’étaient mis à tirer, eux aussi, et, dans la confusion de l’escarmouche qu’ils avaient provoquée, Noah et Burnecker paraissaient avoir été totalement oubliés.
Cinq minutes plus tard, brusquement, le feu cessa.
– Je vais les appeler, dit Noah. Reste couché.
– O. K., dit Burnecker.
– Ne tirez pas, cria Noah, d’une voix qu’il tentait vainement de rendre ferme. Ne tirez pas. Nous sommes deux Américains. Compagnie C. Compagnie C. Ne tirez pas.
Il s’arrêta. Tous deux écoutèrent, frissonnants, plaqués au sol.
Finalement, une voix répondit :
– Sortez d’là et gardez les mains en l’air et amenez-vous ici. En vitesse, et pas de mouvements brusques !
La voix avait un épais accent géorgien.
Burnecker et Noah se levèrent et marchèrent, les mains au-dessus de la tête, vers cette voix jaillie des profondeurs de la Georgie.
– Doux Jésus ! s’écria la voix. Y sont pas plus habillés qu’un canard plumé.
Alors, Noah comprit que tout irait bien.
Une silhouette surgit d’un trou, fusil braqué.
– Par ici, soldats, dit la silhouette.
Burnecker et Noah obéirent. À deux mètres du soldat vomi par les entrailles de la terre, ils firent halte. Il y avait un autre homme au fond du trou, dont le fusil était également pointé vers eux.
– Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-il d’un ton soupçonneux.
– Nous avons été coupés, expliqua Noah. Compagnie C. Il nous a fallu trois jours pour revenir. On peut baisser les mains, à présent ?
– Regarde leurs plaques d’identité, Vernon, dit l’homme resté au fond du trou.
L’homme à l’accent géorgien posa soigneusement son fusil.
– Restez où vous êtes et lancez-moi vos plaques.
Ils obéirent. Les chaînes cliquetèrent.
– Passe-les-moi, Vernon, dit l’homme accroupi dans le trou. Je vais les regarder.
– On n’y voit rien, gémit Vernon. Il fait noir comme dans le cul d’un nègre.
– Donne-les-moi, insista l’autre en tendant le bras.
Un moment, plus tard, ils l’entendirent allumer son briquet. Il devait abriter la flamme, car Noah ne vit aucune lumière.
Le vent était de plus en plus violent et plaquait la chemise trempée sur le corps gelé de Noah. Il entoura ses épaules de ses bras, pour tenter de se tenir chaud. L’homme prenait son temps, pour examiner les plaques. Enfin, il leva les yeux.
– Ton nom ? dit-il en désignant Noah.
– Ackerman.
– Matricule ?
Noah égrena son numéro
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