Le Bal Des Maudits - T 2

multiples, alors que tout ce que le lieutenant Green leur avait demandé était de rejoindre leurs lignes, et même s’il retrouvait Cowley, à présent, Cowley refuserait peut-être de traverser le canal, et, avec la marée montante, le canal était plus profond que tout à l’heure…
    Noah hésita un instant, s’agenouilla au bord du canal, regarda l’eau mouvante. Puis, d’un seul coup, il se laissa glisser
    Il avait oublié qu’elle était aussi froide. Il lui sembla que l’eau écrasait sa poitrine. Il emplit ses poumons d’air glacé, et, perdant pied de place en place, se dirigea rapidement vers l’autre rive. Il l’atteignit, et marcha contre la marée, à la recherche de l’endroit où Burnecker et lui étaient entrés dans l’eau, tentant de se souvenir à quoi il ressemblait Il marchait lentement, subissant l’assaut brutal de la marée, s’arrêtant occasionnellement pour essayer d’entendre quelque chose. Un seul moteur grondait au ciel, quelque part, fuyant devant les coups d’une D. C. A. languissante. Le dernier raid allemand avant l’aube. Mais, dans le voisinage immédiat, tout était silencieux.
    Il parvint à un endroit qui lui sembla familier et, péniblement, se hissa sur la rive. Il se releva, s’arrêta à moins de deux mètres d’un buisson proche, et chuchota : « Cowley… Cowley… » Pas de réponse. Et pourtant Noah était sûr d’avoir reconnu le buisson où ils avaient laissé Cowley. Il s’approcha encore.
    –  Cowley, dit-il à mi-voix, Cowley…
    Quelque chose remua, dans le buisson.
    –  Fous-moi la paix, dit Cowley.
    Noah rampa vers la voix. La tête de Cowley apparut, indistincte, parmi les feuilles sombres.
    –  Je suis revenu te chercher, murmura Noah. Viens.
    –  Fous-moi la paix, dit Cowley.
    –  Ce n’est pas profond, insista Noah. Ce n’est pas profond, bougre de crétin. Tu n’as pas besoin de nager.
    –  Tu te fous pas de moi ?
    –  Burnecker est déjà de l’autre côté. Viens. Ils nous attendent. Les piquets de garde sont tous alertés. Ils ne nous tireront pas dessus. Viens avant que le jour soit levé.
    –  Tu en es sûr ? demanda Cowley, soupçonneux.
    –  Certain.
    –  De la merde, dit Cowley. Je ne marche pas.
    Sans un mot, Noah tourna bride. Puis il entendit bouger les feuilles, derrière lui, et comprit que Cowley le suivait. Au bord du canal, Cowley faillit se raviser une fois de plus. Noah n’insista pas, mais se laissa simplement glisser dans le canal. Chose curieuse, l’eau lui parut beaucoup moins froide. « Je m’engourdis », songea Noah. Cowley tomba bruyamment près de lui. Noah le saisit pour l’empêcher de couler, et le sentit trembler sous ses vêtements trempés.
    –  Tiens-toi à moi, dit Noah. Et boucle-la.
    Ils quittèrent la rive. Tout paraissait très rapide, à présent. Tout paraissait familier, tout n’était plus que routine, et Noah marchait rapidement, avec une sorte d’insouciance.
    –  Oh ! maman, maman, maman ! murmurait nerveusement Cowley, d’une voix stridente.
    Mais il ne lâcha pas Noah, et, même dans la partie la plus profonde, continua résolument d’avancer. Lorsqu’ils atteignirent l’autre rive, Noah ne s’arrêta pas. Il fit un quart de tour et marcha avec la marée, vers l’éboulis où Burnecker et lui avaient déjà pris pied.
    Il y parvint beaucoup plus tôt qu’il ne le pensait.
    –  Ici, dit-il. Je vais t’aider.
    –  Oh ! maman, maman ! murmura Cowley.
    Poussant de toutes ses forces, Noah réussit à hisser Cowley jusqu’à la base de l’éboulis. Cowley était maladroit et lourd. Il délogea une grosse pierre, qui tomba à l’eau avec un bruit sourd. Mais il parvint à poser l’un de ses genoux sur la rive, et se disposa à tirer après lui son autre jambe.
    Quelques coups de fusils éclatèrent soudain, non loin de là. Cowley se leva, agita follement les bras. Il tenta de se jeter en avant, mais manqua son coup et retomba en arrière. Son soulier frappa Noah à la tempe. Cowley cria, une fois. Puis les eaux, se refermèrent sur lui. Il ne remonta pas à la surface. Debout au pied du rivage, Noah regardait, incrédule, l’endroit où Cowley avait disparu. Il fit un pas dans cette direction, ne vit rien, et sentit ses genoux se dérober sous lui. Il recula jusqu’à la rive, rampa, lentement, le long de l’éboulis. « Il avait rêvé qu’il se noierait, pensait stupidement Noah, il avait rêvé… »
    Il tremblait de tous ses