Le Baptême de Judas

sera fait aucun mal. Pour le moment, en tout cas. Tout dépendra de toi.
    —    Pourquoi te ferais-je confiance ?
    —    Parce que j’ai eu plusieurs occasions de t’occire et que je ne l’ai pas fait. Crois-moi, s’il t’avait voulu mort, tu ne serais pas là à faire la vierge offensée.
    —    Qui, « il » ? Norbert ?
    Un silence surpris s’ensuivit.
    —    Tu verras bientôt, ronchonna-t-il.
    —    Tu n’es donc qu’un simple laquais ? ironisai-je.
    —    Je sers une cause et mon statut n’a pas d’importance, répliqua-t-il sèchement. Alors ? Si je retire ma dague, tu te tiendras tranquille ?
    —    Je n’ai guère le choix.
    —    Voilà qui est mieux, dit-il en remettant son arme au fourreau. Maintenant, tais-toi. Il n’aime pas les râleurs.
    J’obéis en me disant que, sous peu, je saurais à qui on me conduisait. Visiblement, ce Norbert détenait une autorité absolue sur ses hommes. J’étais presque fébrile d’apprendre qui pouvait avoir une influence telle qu’il connaissait mon identité, mon rôle au sein d’un ordre secret, l’état de ma quête et mes moindres déplacements.
    —    Allez, dis-je. Norbert nous attend et nous ne voulons pas le contrarier.
    Nous marchâmes encore un peu et trois coups furent enfin frappés à une porte qui fut ouverte.
    —    Rossal, dit simplement Jacques.
    Personne ne répondit, mais on nous laissa passer. À nouveau, une porte se referma sur nous. Nous fîmes une vingtaine de pas avant de nous immobiliser. Autour de moi, je n’entendais que le bruit de nos respirations et le froissement de nos vêtements. Un peu plus et je me serais cru dans une église abandonnée.
    Le son de pas lents et traînants d’une personne qui se déplaçait à quelques coudées devant moi me parvint. Les pas cessèrent et furent suivis du clapotis d’un liquide qu’on verse. J’entendis quelques déglutitions profondes, puis des raclements de gorge et le bruit d’une glaire épaisse qu’on détache pour la ravaler.
    — Gondemar de Rossal, fit enfin une voix dans laquelle perçait quelque chose comme du regret. Pourquoi a-t-il fallu que tu sois si persévérant ? Tout aurait été tellement plus simple si tu avais trahi.

    1
       La justice nous abandonne, le salut reste éloigné, car la vérité a trébuché sur la place, et la droiture est tenue à l’écart. La vérité a disparu ; ceux qui rompent avec le mal s’exposent à tout perdre. Le Seigneur l’a vu, et ses yeux n’ont pas supporté qu’il n’y ait plus de justice. Isaïe 59,14-15.
    2
       La colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre tout refus de Dieu, et contre toute injustice par laquelle les hommes font obstacle à la vérité. Romains 1,18.
    3
    La lumière produit tout ce qui est bonté, justice et vérité. Éphésiens 5,9.
    4
    Parmi les hommes, il n’en a pas existé de plus grand que Jean Baptiste. Matthieu 11,11.

Chapitre 14 Norbert de Craon
    Puisque j’avais atteint la destination qui m’avait été imposée, le temps d’agir en mouton docile était révolu. Le moment était venu d’y voir clair et, comme ma vie ne tenait plus à grandchose, je ne voyais aucune raison d’être particulièrement poli.
    —    Je présume que tu es celui qui m’a fait emmener jusqu’ici ? demandai-je. Norbert, si je ne m’abuse.
    —    On ne peut rien te cacher, répliqua l’inconnu d’un ton où se mêlaient la lassitude et l’amusement.
    —    Puisque tu tenais tant à me parler et que je me trouve à ta merci, fais-le comme un homme, les yeux dans les yeux. Je ne converserai pas avec une cagoule sur la tête.
    Un rire glaireux et un peu désabusé monta de mon interlocuteur et se termina par une quinte de toux rauque suivie d’un crachat.
    —    Tu es bien arrogant pour un vulgaire prisonnier, rétorqua-t-il lorsqu’il eut repris son souffle. Ton statut de Magister des Neuf te serait-il monté à la tête ?
    Je ne fus pas surpris outre mesure par cette remarque. J’étais conscient que celui qui m’avait mandé dans cet endroit en savait beaucoup sur moi.
    —    Libère-le, ordonna mon interlocuteur.
    —    Est-il prudent qu’il voie ton visage ? demanda Jacques.
    —    S’il comprend et accepte ce que j’ai à lui dire, le fait qu’il connaisse ma vieille face sera sans conséquence. Sinon, il en emportera simplement le souvenir dans la tombe.
    —    À tes ordres, soupira le templier obéissant,