Le Baptême de Judas
mortier, sur lesquelles avaient été étendus d’épais tapis. Quelques fauteuils étaient disposés un peu partout. En gros, l’endroit, sans pouvoir être qualifié de confortable, était tout à fait habitable et, du peu que j’avais appris en y venant, il se trouvait au cœur d’un réseau de tunnels aux dimensions considérables. Quelque part au cœur d’une montagne dont j’ignorais tout, on avait aménagé une véritable forteresse secrète.
— Où sommes-nous ? m’enquis-je.
— Pour le moment, cela n’a aucune importance, répondit Norbert avec un petit geste d’impatience de la main. Tu le sauras si tu en sors.
— Et mes compagnons ? Où sont-ils ? Qu’en a-t-on fait ?
— En ce moment même, ils trempent sans doute dans un bain chaud, un verre de vin aux épices à la main et des vêtements secs à leur portée. Ne crains rien pour eux. Il ne leur sera fait aucun mal.
— Pour l’instant, complétai-je.
— Tout dépendra de toi, admit le vieil homme en haussant les sourcils.
Pour la seconde fois, il me faisait comprendre que ma vie, ainsi que celle de mes amis, tenait à la façon dont je réagirais.
— Alors aussi bien entrer dans le vif du sujet, déclarai-je. Me diras-tu enfin ce que je fais ici ou t’amuses-tu à me faire languir parce que c’est le seul plaisir qu’il te reste ?
— Tu es impatient, Gondemar. La modération te servirait mieux. Elle t’aurait notamment évité de tomber dans le piège qui t’attendait à Gisors.
— Si j’ai besoin d’un confesseur, je te le dirai.
Il secoua lentement la tête, amusé, et but une gorgée.
— Bien, alors parlons. Après tout, c’est pour cela que nous sommes ici. Ce que je vais te révéler n’est connu que d’une poignée d’hommes et de femmes. Au départ, il n’était pas prévu que tu sois inclus dans ce cercle très restreint, mais, sans le savoir, tu m’as forcé la main. Comme je te sais non dépourvu d’intelligence, j’ai donc décidé de te faire venir à moi afin de te mettre dans le secret, en espérant que tu pourras faire le bon choix et aider à préserver la Vérité. Sans compter que tu pourrais aussi sauver la vie de Cécile de Foix, qui t’est très précieuse, me dit-on.
Evidemment, ces mots, s’ils ne m’aidèrent en rien à voir clair, retinrent mon attention. Cet homme avait ordonné mon assassinat et voilà qu’il parlait de préserver la Vérité. Une fois encore, il y avait contradiction entre les gestes et la parole. Plus les choses avançaient, plus j’étais désorienté. Je choisis de ne pas me commettre en ne relevant pas son allusion à la mission des Neuf.
— Je t’écoute, me contentai-je de dire. Mais j’apprécierais que tu coupes court aux paraboles. Depuis quelques années, j’en ai eu plus que ma ration.
Norbert but une nouvelle gorgée et posa sur moi un regard pénétrant. Pendant une longue minute, il ne dit rien.
— Je comprends. Quand les cathares t’ont recruté pour diriger les troupes de Cabaret, tu ne te doutais certes pas où cela te mènerait. Ta tâche n’a pas été facile et le tribut qu’elle a exigé de toi est élevé. Mais, crois-moi, tu n’es pas le seul à t’être sacrifié. Alors, parlons ouvertement. Que sais-tu de la Vérité, Gondemar ? s’enquit-il.
Je relevai le sourcil et le toisai, presque amusé.
— La Vérité ? Avec tout ce qui s’est produit récemment, il serait futile pour moi de prétexter l’ignorance, rétorquai-je. Mais je ne te connais ni d’Ève, ni d’Adam. Je ne sais même pas si le nom que tu m’as donné est authentique. Je n’ai aucune raison de te révéler ce que j’ai juré de garder secret par le sang et sur ma vie. Sans compter que, quoi que tu fasses, la première part est en sécurité et que ce n’est pas moi qui vais te la livrer.
— Elle se trouve à Montségur, je sais. Pourtant, voilà pas si longtemps, tu étais tout disposé à la remettre à Simon de Montfort. Mais tu as le sens de l’honneur, déclara-t-il avec une moue d’approbation. Je sais respecter cela. Alors laisse-moi te dire ce que, moi, je sais de toi. Tu pourras confirmer si je suis dans le vrai. Ensuite, nous verrons si notre conservation peut se poursuivre. D’accord ?
J’acquiesçai du chef. Il posa sa coupe sur la table, à côté de la masse de parchemins, enfonça son dos déformé dans le dossier de son fauteuil, appuya ses
Weitere Kostenlose Bücher