Le Baptême de Judas
Comment se fait-il que je voie mieux avec un seul œil que toi avec deux ?
— Maître... sanglotai-je. Je n’ai pas été à la hauteur, je le sais, mais ne me jugez pas si sévèrement, je vous en prie.
Le dernier qui se planta devant moi tenait une crosse dorée et mon sang se glaça dans mes veines.
— Protège la Vérité, damné ! tonna Métatron. As-tu oublié le marché que tu as conclu avec Dieu ! Ou es-tu si prétentieux que tu t’imagines pouvoir passer outre ?
— Je n’ai pas oublié, je te le jure. Ce qu’il reste de la Vérité est en sécurité à Montségur. Dans les circonstances, c’était le mieux que je pouvais faire.
— Crois-tu vraiment qu’une seule part suffise à t’éviter l’enfer !
— Je. je croyais que... oui ! balbutiai-je.
— Alors tu fais erreur !
Ils restèrent tous là à me regarder pendant que je tournais piteusement sur moi-même, à la recherche d’un seul regard compatissant. Mais je n’en trouvai aucun.
— Puisque vous tenez tant à la Vérité, aidez-moi au lieu de m’accuser ! hurlai-je à pleins poumons.
— Nous ne sommes que les instruments de Dieu, répliqua Métatron. La tâche est la tienne !
Il leva sa crosse et me l’appuya sur l’épaule. Je ressentis la même brûlure que jadis, en enfer. Le hurlement de douleur que je laissai échapper fut aussi puissant et désespéré. Je me laissai choir sur le sol de pierre froid et me mis à pleurer, recroquevillé comme un enfant, le visage enfoui dans mes mains. Ma chair me causait d’affreux élancements qui représentaient bien peu à côté des déchirements de mon âme.
— Aidez-moi, sanglotai-je, anéanti. Je vous en supplie. L'un d’entre vous n’éprouve-t-il pas un peu de pitié ?
— Protège la Vérité ! rétorquèrent-ils d’une seule voix.
— La première part est en sécurité et la seconde est détruite, gémis-je. Je ne sais pas quoi faire de plus. Que voulez-vous donc de moi ?
Je sursautai lorsqu’on me secoua l’épaule.
— Debout, ordonna un homme en me saisissant brusquement par la manche pour me remettre sur pied.
Je fus bientôt en selle. Sans qu’un autre mot ne soit prononcé, nous reprîmes notre route. Le vent colla la sueur de mon cauchemar sur ma peau et je me remis à grelotter. La seule partie de mon corps qui ne gelait pas était mon épaule gauche, où la marque de Métatron brûlait comme une braise.
Nous grimpâmes encore et encore, tant et si bien que je finis par sentir des bourrasques de neige qui faisaient claquer ma capeline sur mes cuisses. Je fus bientôt complètement gelé, mais personne ne s’en soucia. Je finis presque par apprécier la cagoule qui me protégeait de la morsure du froid. Frissonnant, je fis de mon mieux pour ne pas penser à mes dents qui claquaient. De toute façon, ma seconde vie n’était que provisoire et je n’avais cure d’attraper la mort. Sauvage, lui, s’ébrouait de plus en plus fréquemment, contrarié. Je pouvais sentir qu’il avançait avec courage, la tête basse pour se prémunir contre les éléments.
Nous fîmes un nouvel arrêt durant lequel on me nourrit d’un peu de pain et d’un morceau de lard rance que j’avalai sans le goûter. Les sifflements du vent forçaient les cavaliers à hausser le ton pour s’entendre et ces circonstances me permirent de surprendre une conversation.
— Le temps devient de plus en plus mauvais, Jacques, dit un des templiers. Je connais une caverne non loin d’ici. Nous devrions peut-être nous y abriter pour la nuit et attendre que la tempête se calme.
— Norbert nous attend, répondit son interlocuteur, dont je reconnus la voix comme étant celle du templier qui avait été mon ombre depuis Gisors.
Ainsi donc, il se prénommait Jacques. Dans une situation aussi désespérée que la mienne, la moindre bribe d’information, même aussi insignifiante qu’un nom, pouvait s’avérer capitale et me permettre de sauver ma peau et celle de mes compagnons. Quant au Norbert auquel il avait fait référence, il ne pouvait s’agir que de son supérieur. Celui qui semblait tirer les ficelles. Sous peu, j’apprendrais qui il était et ce qu’il me voulait. À la première occasion, je consulterais aussi Eudes. Après tout, il était templier, lui aussi. Peut-être en saurait-il un peu plus que moi.
— Que nous restions ici ou que nous avancions, nous gèlerons de toute
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