Le Baptême de Judas
maintenant, si tu nous expliquais pourquoi nous accepterions de livrer ce que nous avons juré de protéger ? dis-je.
— À fort prix, renchérit Eudes. Plusieurs hommes de valeur ont sacrifié leur vie pour ces parchemins.
— En effet, acquiesça Norbert, et j’en suis désolé. Les familles fondatrices l’ont planifié ainsi et le Cancellarius Maximus n’est que leur représentant. Je ne suis qu’un exécutant et je n’ai jamais eu le pouvoir de changer les choses. Vous n’étiez pas censés apprendre ce que je vais vous révéler, mais les événements se sont bousculés.
Norbert se leva de son siège en grimaçant et posa les mains sur ses reins douloureux. Ses paupières papillonnèrent et il vacilla sur ses jambes. Aussitôt, Jacques et Véran se précipitèrent vers lui pour le soutenir.
— Ça ira, mes amis, murmura le vieillard. Ma vieille carcasse exige un repos que je ne peux lui accorder. Elle tiendra bien encore quelques moments.
À contrecœur, ses compères retournèrent s’asseoir. Norbert essuya la sueur qui perlait sur son front dégarni puis se mit à marcher de long en large.
— La Vérité telle que vous la connaissez n’est qu’un leurre, déclara-t-il. Un appât destiné à faire courir nos ennemis sur une fausse piste. Depuis le retour des deux parts, voilà vingt-cinq ans, le stratagème a fonctionné à merveille. Le pape et ses hommes n’ont pas cessé de les chercher en croyant qu’elles avaient quelque valeur. Et ce leurre doit être maintenu jusqu’à sa conclusion, car l’enjeu est trop important pour que l’échec puisse être envisagé.
Il nous adressa un petit sourire triste, s’arrêta et nous dévisagea gravement, jaugeant notre réaction. La seule qu’il obtint fut un silence attentif qui parut le satisfaire. Nos récriminations étaient entièrement oubliées. Nous étions tous suspendus à ses lèvres comme des enfants à celles d’un conteur, même Odon qui n’y comprenait sans doute pas grand-chose.
— Les Neuf, leur initiation, leur mission sacrée, tout cela n’était qu’un écran de fumée, mes pauvres amis, dit-il avec une contrition qui m’apparaissait sincère. Un mensonge qui exigeait d’être perpétué par des hommes courageux qui ignoraient tout de leur véritable rôle. Des hommes comme vous.
Il vint se planter devant moi et laissa son regard errer sur chacun de nous, comme s’il regrettait profondément ce qu’il allait dire.
— Les parchemins et le suaire démontraient que la foi chrétienne est une supercherie et, à ce titre, ils avaient une grande valeur aux yeux de nos ennemis. Mais pour nous, ils n’ont jamais eu la moindre importance, déclara-t-il sombrement.
— Je voudrais bien savoir quel abruti peut considérer la preuve de la foi cathare comme insignifiante ! se rebiffa Ugolin.
— Les deux parts confirment la fausseté de la religion des chrétiens, c’est vrai, répliqua Norbert. Mais elles ne valident pas la tienne. Ce sont deux choses entièrement différentes.
— Bordel de Dieu, grommela le Minervois. Sois clair !
Roger Bernard leva l’index avec toute l’élégance de sa noblesse.
— Je crois que je comprends, intervint-il.
De la tête, Norbert l’invita à poursuivre.
— L’entreprise d’Hugues de Payns en Terre sainte n’était qu’une partie d’un plan plus vaste. Les familles fondatrices avaient besoin des preuves démontrant que Ieschoua avait survécu non pas parce qu’elles leur accordaient de la valeur, mais pour brouiller les pistes. Ils cherchaient quelque chose à agiter sous le nez du pape pour le distraire de ce qui importait vraiment. C’est bien ça ?
Je regardai Foix et hochai la tête. Sa conclusion était la seule qui fût logique et j’étais arrivé à la même.
— Exactement, confirma Norbert. Avant la mort de Ieschoua, d’autres reliques, infiniment plus précieuses, ont été préservées. Elles représentent les fondations sur lesquelles l’Église chrétienne aurait dû être érigée si ceux qui l’ont créée voilà un millénaire n’avaient pas été aussi aveugles et cupides. Ces reliques, messires, établissent que la foi des cathares a des racines très anciennes et qu’elle mérite le respect.
D’un grand geste du bras, il balaya la pièce.
— Notre groupe les conserve. On l’appelle le Prætorium. En 1187, alors que les parchemins et le suaire étaient ramenés
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