Le Baptême de Judas
contenait.
— Non surrexit inter natos mulierum maior Ioanne Baptista ! s’écrièrent les trois hommes à l’unisson, d’une voix forte.
Puis Norbert se retourna vers nous.
— Voici le véritable Lucifer, porteur de la Lumière, celui qui a rappelé la Vérité au monde.
La surprise, le dégoût et une part de peur m’imposèrent un mouvement de recul. Dans le reliquaire se trouvait une tête que, malgré son état, je n’eus aucun mal à reconnaître. C’était celle du mort que j’avais vu en songe. L’homme qui, même décapité, avait tourné son visage vers moi et m’avait saisi le poignet pour me reprocher de mal protéger la Vérité. Celui qui s’était métamorphosé en Bertrand de Montbard pour me toucher encore plus profondément le cœur ; qui m’avait dit qu’il n’y a pire aveugle que celui qui refuse de voir ; qui avait posé sur mes lèvres un obscène baiser grouillant d’asticots pour sceller l’engagement qu’il m’avait fait renouveler.
Une fois de plus, un de mes rêves me rattrapait. Cette tête avait été momifiée voilà très longtemps, mais le travail avait été bien fait et, malgré la peau brunâtre et parcheminée, elle m’était facilement reconnaissable. Les cheveux bruns en broussaille la couvraient toujours, abondants. La barbe avait grugé la face jusque sous les yeux. Les lèvres desséchées se retroussaient sur les dents en un rictus obscène qui lui donnait un air féroce. Les paupières qui scellaient des orbites vides depuis des siècles singeaient l’apparence du sommeil. Mais, malgré tout cela, l’expression sévère, presque amère, avait persisté.
— Une tête desséchée ? cracha Eudes avec dépit. C’est tout ce que tu as à montrer ? Elle est fort laide, j’en conviens, mais j’ai vu bien pire.
— Ieschoua lui-même l’a déclaré et Matthieu l’a rapporté, rétorqua solennellement Norbert. « Parmi les hommes, il n’en a pas existé de plus grand que Jean le Baptiste. »
Ugolin, Odon et moi regardâmes le vieillard, médusés et incertains d’avoir bien entendu. Foix, lui, fronça les sourcils avant de s’approcher du reliquaire et, d’une main hésitante, d’effleurer l’or massif sans oser toucher la chair qu’il contenait.
— Tu veux dire que cette tête est celle du Baptiste lui-même ? balbutiai-je.
— Celui-là même qui a précédé Jésus et qui l’a baptisé dans le Jourdain, oui, répondit le vieil homme. Mais Yehohanan était beaucoup plus que cela. Il était prêtre de l’ancienne religion. Celle qui indiquait, sans artifices, la voie toute simple du salut : l’amour de son prochain, le refus du mal, le dénuement, le mépris de la chair et l’amour de Dieu. Le Baptiste portait la Bonne Nouvelle parmi les Hébreux. Il baptisait pour laver les âmes de leurs péchés et renouveler l’alliance entre les hommes et leur créateur. Il avait lui-même oint son cousin Ieschoua, qui avait passé de longues années en Égypte pour y acquérir l’ancienne sagesse. Tous deux étaient descendants de la Maison d’Aaron et connaissaient parfaitement la Loi, mais ils ne l’entendaient pas pareillement. Yehohanan n’était pas venu pour sauver, mais pour révéler. Ieschoua, lui, était un prophète éloquent qui guérissait les malades et chassait les esprits mauvais. Plusieurs voyaient en lui le Messie tant attendu. Mais il était impatient et voulait libérer son peuple sur terre et non dans les cieux. Alors que l’un menait une vie d’ascète dans le désert et prêchait, l’autre brûlait de fourbir ses armes. Avec le temps, les deux ont fini par être considérés comme une menace pour l’ordre public. Le premier, Yehohanan en a payé le prix et fut décapité sur l’ordre du roi Hérode, après que Salomé eut exigé sa tête sur un plateau d’argent. Privé de la saine influence de son cousin, qui modérait ses ardeurs, Ieschoua a dévié de la voie et s’est mis à exciter les foules et à les encourager à la révolte armée. Il a fini par en être puni sur la croix. Les deux parts que vous connaissez confirment la suite des événements.
Il tourna vers la répugnante relique un regard rempli de dévotion et caressa affectueusement le reliquaire.
— Ce que peu de gens savent, toutefois, continua-t-il, c’est que la tête de Yehohanan a été récupérée par ses fidèles. Elle est passée par Damas, puis la Phénicie et Constantinople avant
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