Le Baptême de Judas
d’aboutir ici.
Il referma doucement la porte sur la face millénaire, puis effleura les symboles du bout des doigts.
— Le poisson a toujours représenté les premiers chrétiens, avant qu’ils ne soient corrompus et adoptent la croix, expliqua-t-il. L’Agnus Dei, comme tu le vois, ne porte pas le crucifix, mais la croix à long pied qui guidait les pas de Yehohanan. Car il était l’agneau sacrifié, et non pas Ieschoua.
— Je ne comprends pas. dit Roger Bernard. Je veux bien que cette tête soit celle du Baptiste, mais en quoi cela constitue-t-il une preuve de quoi que ce soit ? La Bible dit qu’il criait fort, mais mort, il ne peut plus parler.
— Tu as raison, répondit Norbert. Les restes de Yehohanan ne sont qu’un rappel de ce qu’il était. Ce que nous vénérons et protégeons, ce sont les paroles qu’il nous a laissées.
Il saisit le bouton au bas du reliquaire et tira doucement le tiroir vers lui. Il en sortit un petit livre que je reconnus. Je l’avais vu, lui aussi, en songe, alors qu’il reposait sur la poitrine du Baptiste.
Norbert tenait l’objet à deux mains et le regardait avec une vénération émouvante. Lorsqu’il leva les yeux vers nous, ils étaient humides.
— Ceci est la seule épître de Yehohanan, murmura-t-il d’une voix chevrotante d’émotion. Les fondements les plus anciens que nous possédions de notre foi. Alors qu’il croupissait dans les prisons du roi Hérode, il l’a dictée à un soldat qui était secrètement un de ses fidèles et qui l’a emportée hors du palais. Le Baptiste est mort le lendemain et c’est le même homme qui a recueilli sa tête dans les ordures.
Il me remit le livre avec révérence et je l’ouvris. Sous la couverture de cuir, le parchemin était très vieux et sec. Je tournai les quelques pages avec prudence. Chacune portait une écriture
serrée à l’encre pâlie dont les caractères m’étaient connus, mais que je ne pouvais lire. Après l’avoir examiné avec une attention proche du recueillement, je le passai à Eudes.
— C’est de l’araméen, constatai-je.
— Oui, confirma le vieillard. Chacun de nous en connaît la traduction par cœur. Il en ira ainsi de vous, si vous acceptez la Vérité.
— J’aimerais d’abord entendre ce que ça dit, déclara Eudes, méfiant, en remettant le livre à Foix.
— En admettant qu’on ne nous raconte pas n’importe quoi, intervint timidement Odon.
— Le petit a raison, renchérit Roger Bernard. Fide, sed cui vide 8 . À t’en croire, tu as passé ta vie à manœuvrer tout le monde pour atteindre tes propres fins. Qu’est-ce qui nous assure que ce que tu vas réciter est bien ce qui est écrit dans le livre ?
Norbert se renfrogna, puis entra dans une sainte colère.
— Ce qui vous l’assure ? Peut-être le fait que j’ai perdu toute ma vie pour protéger ce qu’il contient ? cracha-t-il. Et aussi que nous ayons dû trahir toutes ces femmes et tous ces hommes innocents et honorables, et les sacrifier comme du bétail, sans égard à leur valeur ? Crois-tu que j’ai fait tout cela l’âme légère ? Ma conscience en pâtit chaque jour que Dieu m’inflige ! Et pourtant, je suis encore là, devant toi, à t’offrir la Vérité ! Cela ne devrait-il pas suffire à calmer ta méfiance ?
— Plus ou moins, quand j’ai le choix entre l’accepter ou mourir, rétorqua Foix.
Le vieil homme ne répondit pas tout de suite. Il respira profondément à quelques reprises pour contrôler son courroux. Lorsqu’il se fut repris, il s’adressa à nous d’un ton redevenu serein.
— Nous n’irons nulle part de cette façon. Vous devez comprendre, messires, que si la Vérité exige la raison, elle demande aussi un acte de foi. Ceci dit, si l’un de vous lit l’araméen, qu’il s’exécute et rassure ses compagnons. Sinon, vous devrez accepter la traduction qui vous est offerte.
Pendant un instant, je regrettai presque l’absence de Guillot. Le maudit moine était imbu de lui-même, cruel et pédant, mais aussi fort savant. Il aurait sans doute pu nous confirmer le contenu du livre, ne fût-ce que pour sauver sa grosse carcasse. Mais il n’était pas là. Il reviendrait à chacun de nous de décider s’il sauterait ou non dans le vide. Je n’avais aucun droit d’imposer une décision à mes compagnons. Tous autant qu’ils étaient, ils pouvaient choisir la mort avant la trahison s’ils
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