Le Baptême de Judas
demanda-t-il.
Mes compagnons hochèrent la tête, suspicieux.
— Il dit vrai, déclara le vieil homme.
Il reprit dans le détail l’explication qu’il m’avait donnée. Lorsqu’il eut terminé, aucun de mes compagnons n’avait dit mot, ni bu une seule gorgée de vin. Tous avaient le même air hébété. Eudes se retourna enfin vers moi.
— Tu le crois ? s’enquit-il, sonné.
— Ce qu’il dit est vraisemblable, répondis-je.
— Alors. depuis le retour de la première part en terre natale, nous avons été bernés ? Trompés ?
— Non, sire Eudes, intervint Norbert, vous avez servi votre fonction, tel que l’exigeait le plan des familles fondatrices. Et vous l’avez fait avec honneur, ainsi que tous vos prédécesseurs. Apprendre que l’on a été utilisé de cette façon est cruel, j’en conviens, mais je vous assure que la ruse était nécessaire.
— Tout dépend de la nature de cette autre Vérité, dit Foix. Je veux bien entendre tes fadaises, vieil homme, mais rien ne vaut une preuve. Acta, non verba 2
— Le temps est venu de franchir le seuil du Secretum secretorum 3 , en effet, répondit Norbert.
Il s’appuya sur les bras de son fauteuil et se leva lentement.
— Jacques, si tu veux bien, dit-il.
Payraud se dirigea vers une table près du foyer et en revint avec cinq cagoules de toile.
— Encore ? grommela Ugolin, contrarié.
— C’est nécessaire. Pour le moment, vous ne devez pas connaître le chemin vers le Sanctum sanctorum 1 .
— Bon. puisqu’il le faut, gronda le Minervois.
Payraud nous passa les cagoules et nous les attacha autour du cou. On ne nous lia toutefois pas les mains. Nous nous plaçâmes l’un derrière l’autre, chacun empoignant l’épaule de celui qui le précédait. Cette posture me rappela celle des Parfaits aveuglés de Bram qui avaient surgi devant Cabaret dans une sinistre procession.
— Si vous voulez bien me suivre, dit Norbert.
Fébrile, j’emboîtai le pas au vieillard, la main sur son épaule maigre à faire peur, celle d’Ugolin sur la mienne, et ainsi de suite, Payraud fermant la marche.
Notre trajet fut parsemé de détours qui me laissèrent bientôt complètement désorienté et dont je soupçonnais qu’ils n’étaient pas tous nécessaires. Après quelques minutes, notre petit groupe s’immobilisa enfin. J’entendis une porte grincer lourdement sur ses gonds.
— Nous allons descendre trente-trois marches, avertit Norbert. Soyez prudents.
Nous nous engageâmes dans un escalier dont je comptai prudemment chaque marche, me rappelant trop bien la douloureuse culbute que j’avais subie jadis, en descendant celui de Montségur, les yeux bandés. Le fait que nous nous enfoncions au creux de la terre ne m’étonnait guère. Le temple de Montségur et la chapelle de Gisors avaient tous deux été creusés dans les profondeurs, à même le roc.
Lorsque nous eûmes atteint le pied de l’escalier, une nouvelle porte s’ouvrit et on nous fit entrer avant de refermer derrière nous. Une main se posa sur mon coude et me guida vers la droite, puis me fit pivoter sur moi-même.
— Il y a un fauteuil juste derrière. Assieds-toi, commanda Payraud, d’une voix dont toute agressivité était disparue.
J’obéis à tâtons et attendis que mes compagnons soient pareillement installés.
— Retire-leur leur cagoule, Jacques, dit Norbert.
Dès qu’on me rendit la vue, je fus un peu déçu. Norbert prétendait détenir la Vérité et, s’il disait vrai et que sa nature subordonnait même celle des deux parts, il s’agissait forcément de quelque chose d’inestimable dont l’écrin aurait dû être à la hauteur du joyau. Après avoir vu les temples des Neuf à Montségur et à Gisors, avec leurs décors austères et militaires, mais harmonieux, et dont le symbolisme avait été savamment étudié, puis la cathédrale souterraine magnifiquement arrachée au roc par des constructeurs de génie, je m’étais attendu à un lieu grandiose ; une pièce aux parois couvertes d’or, d’argent et de pierres précieuses. Or, l’endroit dans lequel je me trouvais n’était rien de tout cela.
La pièce avait été aménagée dans une crevasse naturelle que l’on avait grossièrement équarrie pour la rendre plus spacieuse, mais dont les dimensions restaient irrégulières. Dix fauteuils y étaient disposés le long des parois, sans plateau ni maillet,
Weitere Kostenlose Bücher