Le Baptême de Judas
aucun ne se distinguant des autres par sa hauteur ou sa qualité, comme si l’autorité n’avait pas sa place dans ce temple. Aux murs, point d’armes, d’écus, de baucent ou d’abacus ; seulement des torches qui crépitaient dans leur socle. Au sol, aucun pavé en damier. Nul manteau, templier ou autre, n’était prêt à être revêtu par les participants. Tout cérémonial, tout rituel semblait en être évacué. La seule parure consistait en une lourde tenture de velours bourgogne élimé et poussiéreux disposée sur le mur du fond.
Eudes, Foix, Ugolin et Odon avaient été placés de chaque côté de moi et, du regard, je m’assurai que tous étaient en un seul morceau. Les guerriers expérimentés avaient le visage fermé et l’expression sévère qui précède l’affrontement. Le garçon, lui, avait l’air terrifié. Je vis Ugolin, qui était à sa droite, poser une main paternelle sur son avant-bras et le tapoter un peu pour le calmer.
En face de nous se trouvaient Norbert de Craon, Jacques de Payraud et Véran. De toute évidence, ce dernier s’était discrètement joint au groupe durant notre périple. Il s’était lavé et ses cheveux recouvraient ses oreilles mutilées. Son visage était encore multicolore, mais il semblait se porter mieux. Nos regards se croisèrent et il inclina élégamment la tête en une salutation silencieuse. Je la lui retournai sans hésiter. J’ignorais encore de quoi il retournait, mais avec ce que m’avait appris Norbert, je savais désormais que, si Véran avait trahi les Neuf, il avait été fidèle à une cause qu’il jugeait plus importante encore que la première part de la Vérité. Sans éteindre entièrement mon ressentiment à son endroit, cette certitude exigeait que je lui accorde au moins mon respect. En un sens, j’étais soulagé qu’il ait encore de l’honneur.
Affalé dans son fauteuil, la fatigue courbant encore davantage son dos déformé et ravinant ses traits, Norbert se racla la gorge et toussa un peu.
— Vous vous trouvez dans le Sanctum sanctorum, dit-il de sa voix usée. Peu d’hommes et de femmes y sont entrés et nul n’en est jamais sorti sans avoir d’abord juré son entière loyauté à la Vérité.
— Cette loyauté, nous l’avons déjà donnée en notre âme et conscience lorsque nous avons été reçus dans l’Ordre des Neuf, répliquai-je, un peu agacé. Seulement, il semble maintenant que notre cause n’était qu’une mauvaise blague.
Eudes abattit sèchement son poing sur le bras de son fauteuil.
— Alors, cette mystérieuse révélation ? demanda-t-il avec impatience. On y vient ? Nous avons assez joué. Dis ce que tu as à dire et finissons-en. Et si cela ne fait pas notre affaire, fais-nous occire, tudieu !
— Je comprends ton empressement, mon ami, répondit doucement le vieil homme. Je te demande de m’accorder ta patience pour quelques minutes encore. Vous devez savoir certaines choses pour comprendre ce qui va suivre.
Du coin de l’œil, je vis Roger Bernard se raidir pour répliquer. Je levai doucement la main pour le faire taire. Nous étions dans cette pièce pour apprendre pourquoi nous avions été utilisés comme des marionnettes et j’entendais bien aller au fond des choses. Nous ne parviendrions à rien en irritant Norbert qui, de plus, m’avait laissé entendre qu’il existait encore une chance de sauver Cécile. Je ne quitterais pas cet endroit sans la connaître.
— Je te rappelle qu’il en va de la vie de ta sœur, mon ami, dis-je. Écoutons ce qu’il a à dire. Il sera toujours temps de nous enrager ensuite.
Foix se renfrogna, mais ne dit rien. D’un geste de la main, j’invitai Norbert à poursuivre. Il m’en remercia par un petit sourire.
— La Vérité est une chose complexe, commença-t-il. Dans les faits, tout ce qu’on vous en a appris est véridique. À ce titre, vous n’avez pas été trompés. Ieschoua était un chef de guerre influent et redouté. Condamné à la crucifixion comme rebelle, il a bel et bien survécu, comme le prouvent les parchemins conservés à Montségur et le suaire enfoui sous Gisors, maintenant détruit. Soigné par ses disciples, il a quitté la Judée et a fini ses jours en Egypte. Mais certains de ses hommes se sont mis en tête de poursuivre la bataille et ont lancé la rumeur qu’il était ressuscité d’entre les morts. Ainsi, ils pouvaient se réclamer d’un demi-dieu et la cause qu’ils
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