Le Baptême de Judas
la couverture du livre. Un lourd silence emplit le temple et je restai là, les bras ballants, médusé. Il n’y avait rien à dire. Ce que je venais d’entendre correspondait en tous points à ce que Pernelle m’avait enseigné de la foi cathare. Je jetai un coup d’œil vers mes compagnons et lus le même sentiment sur leurs visages. Ils étaient aussi ébranlés que moi. Et aussi convaincus.
Véran revint vers Norbert et lui remit le livre. Puis il se dirigea vers la porte du temple, l’ouvrit et sortit.
— Qui peut dire ce que notre monde serait si, au lieu du mythe du Christ, les mots de Yehohanan avaient prévalu ? demanda-t-il d’un ton rêveur.
— Là où il y a des hommes, il y a de l’hommerie, répondit Foix, amer. Quelqu’un aurait sans doute trouvé le moyen de les pervertir.
— C’est pour cette raison que nous en préservons la pureté, mon ami. Un jour, lorsque l’Église chrétienne sera à court de massacres et de tricheries, on réhabilitera le Baptiste et sa parole.
À toi d’apprendre à voir la Lumière. En temps et lieu, tu comprendras. Par les pouvoirs que me donne le Créateur de tout ce qui a été, est et sera, tu vivras jusqu’à ce que la Vérité soit préservée ou perdue. Après des années d’incertitude et de souffrance, les paroles de Métatron prenaient enfin tout leur sens. Par mille détours souvent cruels, le chemin parcouru m’avait enfin mené à la Vérité. Je savais désormais ce qu’elle était, dans toute sa simplicité. Au-delà des fondements de la religion cathare, elle énonçait les attentes de Dieu envers ses créatures. Je savais aussi comment la protéger. Par elle, j’avais le pouvoir de sauver mon âme. Et peut-être aussi Cécile.
Je sentis le poids du monde glisser de mes épaules et, pour la première fois depuis ma résurrection dans les bois de la seigneurie familiale, j’eus l’impression de pouvoir me tenir droit et fier.
— Que vienne la Justice ! s’écria Norbert.
La porte du temple s’ouvrit brusquement et une dizaine d’hommes armés firent irruption. Avec calme et méthode, ils nous encerclèrent. Je reconnus parmi eux quelques-uns de ceux qui avaient accompagné Payraud lorsque nous étions tombés dans l’embuscade qu’il avait tendue pour moi. En moins de deux, Ugolin, Foix, Eudes, Odon et moi-même nous retrouvâmes alignés côte à côte, une lame sur la gorge.
— J’ai respecté mon engagement, messires, dit le Cancellarius Maximus. Vous connaissez maintenant la Vérité. Toute connaissance a son prix. Vous avez accepté de servir l’Ordre des Neuf et vous l’avez fait avec honneur. Vous êtes aptes à mesurer la valeur de ce que vous avez vu et entendu. Le moment est venu de choisir entre la loyauté ou la mort, tel qu’il a été entendu.
Sans autre forme de cérémonie, il se planta devant Odon et le regarda droit dans les yeux. À son honneur, le garçon soutint le regard.
— Quel est ton choix, jeune homme ? demanda-t-il sans la moindre menace. La loyauté ou la mort ?
Odon n’hésita pas une seconde.
— Dieu a voulu que je retrouve ma mère, et la foi cathare est la sienne, répliqua-t-il avec détermination, en relevant le menton. Je la défendrai fièrement. Je choisis la loyauté.
Le templier qui appuyait sa lame sur la gorge du garçon la retira, le prit par le bras et, sur l’ordre silencieux de Norbert, le reconduisit à sa place. Vint le tour d’Ugolin.
— Sire Ugolin de Bisor ? La loyauté ou la mort ? s’enquit le vieillard.
— Ce que je viens d’entendre est la preuve que je ne suis pas l’animal bâtard que le pape tente de décrire, répondit le Minervois avec conviction. Pardieu, si l’on veut de moi, je défendrai la Vérité avec toute la force de mes bras ! La loyauté.
Il fut à son tour libéré et ramené à son fauteuil.
— Roger Bernard, fils de Raymond Roger V, comte de Foix, choisis-tu la loyauté ou la mort ?
— Depuis toujours, ma famille a été impliquée dans cette histoire. Ma tante Esclarmonde est de ceux que tu as utilisés et, en ce moment même, ma pauvre sœur paie chèrement pour tes manœuvres. Pour cela, je devrais te casser en deux sur ma cuisse et, crois-moi, ce n’est pas l’envie qui me manque. Mais, comme mon père, je défends la foi cathare de toutes mes forces et ces reliques doivent être protégées coûte que coûte. Alors tu peux compter sur moi. La
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