Le Baptême de Judas
qui composaient la troupe n’avaient rien à voir avec les canailles qui se joignaient aux croisés dans le Sud pour piller et violer. Si ceux de Pierrepont étaient des brutes, ceux de des Barres étaient des combattants accomplis et bien armés. Assis en groupes autour de feux, ils avaient cet air à la fois dur et calme des hommes aguerris qui savent qu’un instant d’inattention peut leur coûter la vie. Constamment aux aguets, ils gardaient leur arme à portée de main, même une fois endormis. Leurs conversations se faisaient à voix basse. Ici, point d’hommes ivres, ni de bagarres. La discipline était de rigueur. Et moi, j’avais ordonné au pauvre Ugolin d’essayer de déjouer de tels hommes.
Il fallait être aveugle ou inconscient pour ne pas constater que les troupes étaient divisées en deux factions à peu près égales : les hommes de Guillaume, calmes et disciplinés, se tenaient d’un côté. De l’autre se regroupaient ceux d’Alain, turbulents et visiblement fébriles. Les gestes parlant plus fort que les mots, les deux camps se tournaient le dos et s’ignoraient. Entre eux, l’animosité était palpable et j’avais la nette impression que le moindre incident suffirait à déclencher une bataille rangée. Je songeai que, si les circonstances s’y prêtaient, je pourrais peut-être exploiter cette situation à mon avantage.
Je laissai mon regard dériver d’un feu à l’autre et finis par repérer Guillot. Le moine était seul, à l’écart, et un espace avait été laissé libre autour de lui. Il était heureux que le gros porc estime tant sa propre compagnie, car personne d’autre ne l’appréciait. Non loin de là se trouvait Pierrepont. Après s’être entêté pendant quelques jours à demeurer en tête du convoi avec Guillaume, sans doute pour sauver son honneur, il avait finalement lâché prise et prenait maintenant place parmi ses hommes, la mine mécontente et boudeuse. Autour de lui étaient regroupés Thury, Guy et Guiburge, tous aussi renfrognés et blessés dans leur orgueil. Je ne pus m’empêcher de sourire en pensant aux plaintes que Simon de Montfort recevrait comme une volée de bois vert dès notre arrivée à Carcassonne.
Pendant que je les observais, Guy de Montfort prit son luth et en pinça les cordes avec la même expression d’extase que je lui avais connue, en route vers Gisors, alors que je lui tenais lieu de garde du corps. Le jeune homme avait du talent et les notes qu’il produisit étaient fort harmonieuses. Malgré moi, je les appréciai. Près de lui, par contre, Pierrepont le toisait, la mâchoire serrée, le mépris lui suintant par les pores de la peau. Les deux avaient beau être dans le même camp, ils ne s’aimaient pas plus qu’avant. Guiburge, elle, observait son neveu sans beaucoup plus de tendresse. Le pauvre Guy avait beau avoir rempli la mission que lui avait confiée son père, il restait visiblement le mouton noir de sa famille. Seul Thury le considérait avec une affection dont je n’ignorais pas la nature. Je ne fus donc pas surpris lorsque Lambert fit un signe de tête subtil au jeune Montfort avant de se lever et de s’éloigner. Je le suivis des yeux et le vis pénétrer dans un boisé. Quelques instants plus tard, Guy abandonna son instrument et prit le même chemin, sous le regard désapprobateur de Pierrepont et de Guiburge.
Je haussai les épaules, indifférent à l’usage que les deux hommes entendaient faire de leurs fondements. Ils pouvaient bien s’empaler l’un l’autre si le cœur leur en disait. J’avais des problèmes beaucoup plus pressants. Je m’approchai le plus possible du feu, m’allongeai et remontai ma couverture sur mes épaules. Il me fallut me tortiller plusieurs secondes pour arriver à placer mes chaînes et trouver une position confortable. J’allais fermer les yeux lorsque j’aperçus une couleuvre brune rampant non loin de moi. Je la regardai s’éloigner, espérant qu’elle irait se glisser sous la soutane de Guillot pour mordre sa virilité dont Gerbaut de Gant lui avait publiquement reproché l’usage.
Je venais à peine de m’assoupir lorsque le sentiment d’être observé me tira du sommeil. J’ouvris les yeux, le pressentiment d’un danger imminent me serrant la poitrine. Je glissai la main sous ma couverture, mais je ne trouvai pas Memento près de moi. Des Barres la détenait toujours. Il faisait nuit noire. Mon feu, comme tous les autres, n’était plus qu’un
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