Le Baptême de Judas
s’échangeant des coups de coude complices dans les côtes, se tapant les cuisses. Lorsque Guiburge se rassit parmi eux, elle leur dit quelques mots qui les firent s’esclaffer de plus belle. Pierrepont lui tendit une gourde. Elle tira quelques gorgées avec lesquelles elle se rinça la bouche avant de cracher le tout.
Humilié au-delà des mots, j’essuyai mon visage brûlant de honte, puis me reculottai. Je me roulai sous ma couverture. L’avilissement que je venais de vivre était pire que toutes les blessures et tous les échecs subis depuis ma résurrection. J’avais été utilisé, humilié, trompé et trahi, mais rien n’approchait de ce que je ressentais maintenant. En singeant l’amour, la sœur de Montfort m’avait fait baisser ma garde. J’avais stupidement laissé mon entrejambe agir à ma place et je m’étais livré à elle, espérant bêtement qu’elle allait me venir en aide. En s’abaissant elle-même, elle avait révélé au grand jour ma nature vile et tous s’en étaient bien amusés. Elle avait démontré à tous ceux qui me méprisaient déjà que j’étais bien peu de chose. Je venais d’être violé. Maintenant, je comprenais réellement ce qu’avait pu ressentir Pernelle. Et le pire était qu’une part de moi y avait pris plaisir.
À mesure que nous laissions le Nord derrière nous, le temps se faisait plus clément. Avril était tout proche et déjà, dans l’air, je pouvais percevoir un peu de cette chaleur sèche que j’avais découverte dans le Sud. Quelques jours après l’outrage subi aux mains de Guiburge de Montfort, la vue de la ville qui se profilait à l’horizon me confirma le chemin parcouru. J’avais encore frais en mémoire le moment où, devant Limoges, Ugolin, Pernelle et moi avions quitté le Sud. Ce soir-là, j’avais brûlé le sauf-conduit du comte Raymond Roger de Foix. Rempli de confiance, presque suffisant, je croyais alors foncer vers l’aboutissement de ma quête et le salut de mon âme. J’osais alors entretenir le fol espoir d’une vie, même courte, en compagnie de Cécile et des enfants que nous aurions. Je revenais plutôt vaincu, prisonnier de ceux que j’avais cru déjouer.
Pour le meilleur et surtout pour le pire, nous pénétrerions sous peu en terre cathare et mon dilemme était toujours le même : sacrifier ou non la Vérité et mon salut. Involontairement, je me retournai vers Pernelle et Ugolin, dont on me tenait toujours séparé. Il suffit d’un regard échangé pour me faire comprendre qu’ils savaient, eux aussi, que l’heure de vérité approchait.
Grâce aux soins de Pernelle, qui ne le lâchait pas d’une semelle, et aussi aux repas abondants que Guillaume, compréhensif, lui consentait depuis son supplice, le Minervois avait bien meilleure mine. Ses joues avaient retrouvé l’essentiel de leurs couleurs et la lueur coquine était revenue dans ses yeux. Je me réjouissais de voir Ugolin redevenir lui-même. D’abord parce que je l’aimais comme un frère et que, malgré tout ce qu’il avait subi pour moi, ou peut-être à cause de cela, je voulais son bien et son bonheur. Ensuite, et surtout, parce que s’il existait la moindre chance de nous tirer de notre fâcheuse position, j’aurais grand besoin de son bras, puissant et fidèle, à mes côtés.
Las de suivre un chemin qui paraissait interminable et avides de commencer à piller, les soldats étaient de plus en plus impatients et agités. Des Barres avait dû user de toute son autorité pour maintenir la discipline dans les rangs et empêcher ses hommes de bifurquer vers les quelques villages rencontrés pour y satisfaire leurs envies. Malgré cela, ils étaient parvenus à harceler quelques pauvres nonnes croisées sur le chemin, qui s’en retournaient à leur monastère les bras chargés de bois sec. La plus jeune, une novice qui n’avait pas quinze ans, était rougeaude et bien grasse. Elle avait été traînée dans la forêt à l’insu de Chalons pendant que ses compagnes, plus vieilles et fort rabougries, se taisaient sous la menace de quelques dagues. Les cris déchirants de la pauvresse avaient retenti jusqu’à moi. Les trois mécréants qui l’avaient malmenée étaient ressortis en se reculottant et en ricanant, puis avaient rejoint le convoi comme si de rien n’était, abandonnant les nonnes derrière. Tel était le sort de ceux qui avaient le malheur de croiser le chemin des preux qui défendaient leur foi.
Nous approchions de
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