Le Baptême de Judas
contre, même ces petits brigands étaient capables de gagner suffisamment de temps pour que la véritable raison de l’embuscade soit mise en œuvre. Alors j’en conclus que leur but était tout autre.
Guillaume des Barres n’était pas un imbécile et il me le prouvait une nouvelle fois. Perspicace, il s’approchait dangereusement des conclusions que j’avais moi-même tirées, ce qui n’annonçait rien de bon pour la suite des choses.
— Et quel était donc ce but, selon toi ? m’enquis-je en sachant d’avance la réponse qui viendrait.
— Vous occire, tes compagnons et toi, rétorqua-t-il d’une voix égale. Car, en profitant de la confusion, c’est bien ce qu’a tenté de faire le second groupe, mené par ce blond aux yeux verts. Il semblait t’en vouloir personnellement.
— Même en plein combat, tu as le sens de l’observation.
Il ricana un peu avant de réagir.
— La question, sire Gondemar, est donc de savoir qui pourrait bien souhaiter ta mort. Certainement pas mon demi-frère. Les Neuf non plus. Alors qui ? Et pourquoi ?
Je n’étais pas aveugle. J’avais vu exactement la même chose, mais comme il me l’avait lui-même rappelé, malgré notre relation empreinte de civilité, nous étions des ennemis et je n’avais aucun avantage à partager mes impressions avec lui car, tôt ou tard, il les retournerait contre moi.
La réalité était que, hormis le fait évident que le templier avait tenté de m’assassiner, je ne comprenais absolument rien à la scène à laquelle j’avais involontairement participé. J’avais un urgent besoin de réfléchir pour donner un sens à tout cela. Si j’espérais avoir la moindre chance de me tirer de mon mauvais pas, il me fallait, pour autant que cela soit faisable, brouiller les pistes pour des Barres.
— Tu as une belle imagination, mon ami, lui répondis-je en forçant un rire qui, je l’espérais, ne sonnait pas faux. Mais elle te joue des tours.
— Ah ? fit-il à son tour, jouant le jeu.
— Tu es pourtant intelligent, poursuivis-je. Réfléchis un peu. Les ennemis de la Vérité ne m’entourent-ils pas déjà ? Ne suis-je pas leur prisonnier ? Par une amusante ironie, n’ont-ils pas pour mission d’assurer ma survie jusqu’à Carcassonne ? Certes, si on me tuait, tu pourrais encore remettre la seconde part à ton demi-frère, mais il perdrait toute chance d’obtenir la première. Pour cela, il a besoin de moi. Je suis le seul à pouvoir infiltrer les Neuf de Montségur. Sans moi, les documents qu’ils gardent continueront de menacer l’Église chrétienne. Pour le moment, mes ennemis me veulent donc vivant.
— Alors tu en as d’autres, car on a bien essayé de te faire la peau, répliqua des Barres. Après tout, tu t’apprêtes à trahir ta propre cause et cela déplaît certainement à plusieurs. La mort est le meilleur moyen de t’en empêcher.
— Tu suggères que mes propres alliés auraient tenté de me tuer pour protéger la première part de la Vérité ?
— C’est tout ce que les Neuf de Montségur détiennent encore et sa valeur en est décuplée d’autant. Si j’étais à leur place, je ne reculerais devant rien pour assurer sa sûreté.
— L’hypothèse est séduisante, mais elle ne tient pas la route, Guillaume. Ex falso sequitur quodlibett 2 .
— Convaincs-moi.
Un soldat passa près de nous, une gourde à la main. Il le saisit par le bras pour l’arrêter et la lui prit. Il s’abreuva puis me la tendit. J’en fis autant et rendis le tout au soldat avant de reprendre la parole.
— Pour que les Neuf de Montségur décident de monter cette embuscade, il faudrait que ma situation leur soit connue. Or, dès que la seconde part de la Vérité a été récupérée à Gisors, on m’a mis au cachot pour ne m’en sortir qu’au moment du départ. Depuis lors, je n’ai pas été seul un instant. Il en va de même pour Pernelle et Ugolin. Quant à ce pauvre Jaume, on l’a égorgé pour faire exemple et, depuis, il ne parle plus très fort. Personne ne sait donc où je suis, ni ce qui m’arrive.
— Pourtant, on a bien essayé de t’occire.
— Vrai, mais accuser les Neuf est trop facile. On t’a certainement expliqué la manière dont deux Ordres des Neuf ont été mis sur pied voilà plus d’un siècle. Aucun ne sait quoi que ce soit de l’autre, sinon qu’il existe. Et comme je suis captif depuis
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