Le Baptême de Judas
courage de le faire toi-même, maudit pleutre, dit-il d’une voix qui dominait à peine le vacarme environnant.
Je le regardai, interdit. Cet homme m’avait ordonné d’obéir à Montfort, et voilà maintenant qu’il souhaitait m’occire pour m’en empêcher. Et il me traitait de pleutre, moi qui n’avais comme seule véritable qualité qu’un courage qui frôlait l’inconscience. Pour quoi et pour qui devais-je me sacrifier ?
Le mystérieux inconnu interrompit mes questionnements en fonçant sur moi, son épée solidement empoignée à deux mains dans la pose classique que m’avait enseignée Bertrand de Montbard. Il était templier et tout dans son attitude m’indiquait qu’il serait un adversaire coriace. Le combat s’engagea, furieux et désespéré. Mes chaînes me forçaient à tenir mon arme à deux mains et à utiliser ma senestre infirme. Leur poids à mes poignets restreignait mes mouvements, rendant mes parades lentes et maladroites. L’homme, lui, n’avait pas de telles contraintes. Il frappait d’un côté puis de l’autre, en haut et en bas, sans relâche et avec une énergie remarquable qui me rappelait celle de mon maître. Malgré moi, je fus contraint de reculer pour ne pas être dominé.
Réalisant que je n’arriverais à rien si je ne reprenais pas l’offensive, je plantai fermement mes pieds au sol et attaquai à mon tour, usant de toutes les astuces que Montbard m’avait apprises. Mon adversaire ne sembla pas surpris outre mesure, parant mes coups sans trop de mal, comme s’il les connaissait déjà. Enragé, je profitai du fait qu’il avait relevé son arme pour dévier ma lame et écrasai son genou avec mon pied. Le grognement de douleur qui lui échappa me laissa savoir que j’avais visé juste. Alors qu’il reprenait sa position défensive en boitant, l’épée bien tendue devant lui comme tout bon templier, je parvins à glisser la mienne dans sa garde et lui entaillai profondément l’épaule. Sa grimace de douleur se transforma en sourire amusé et, sans égard au sang qui mouillait son vêtement, il passa à l’attaque avec une furie renouvelée à laquelle je ne pourrais résister longtemps.
Après quelques échanges, les muscles de mes bras se firent plus fatigués, le poids des chaînes les entravant. Sa lame me siffla sous le nez et j’eus tout juste le temps de reculer la tête pour éviter d’avoir la face séparée en deux. Du revers, il frappa aussitôt mon arme, si fort que je perdis presque ma prise sur elle. La force du coup me déporta sur la droite et j’avais à peine récupéré que son épée se dirigeait vers ma tête. Je parvins à bloquer partiellement le coup, mais sa lame glissa le long de la mienne et entama la chair de ma senestre infirme. J’eus à peine le temps de m’étonner du peu de douleur que je ressentais que le pied de mon adversaire enfonçait ma poitrine, me projetant sur le dos. Il fondit sur moi. Ses genoux s’écrasèrent sur mes bras et les immobilisèrent. Je me débattis en vain. J’étais à sa merci.
Il fit habilement pivoter son épée et la brandit pointe vers le bas pour me l’enfoncer dans la gorge. Lorsque j’aperçus le tranchant étincelant, une étrange sérénité m’enveloppa. Ma dernière heure était arrivée. Enfin. J’avais été ramené d’entre les morts pour servir les desseins de Dieu et j’avais échoué. Les portes de l’enfer étaient sans doute déjà ouvertes pour moi et je l’acceptais.
— Fortes in fides 1 ! gronda-t-il.
Il allait abattre son arme lorsqu’il leva les yeux, son attention attirée par quelque chose derrière moi. L’instant d’après, un grand rugissement retentit et je compris que les croisés laissés à l’écart par les arbres abattus venaient de percer la muraille de branches et accouraient à notre secours.
Contrarié, l’inconnu serra les dents et entreprit de m’achever, mais un des soldats de Guillaume surgit et, in extremis, bloqua la lame avec la sienne. L’homme para comme un templier. Sur ses genoux, il fit un tour complet sur lui-même et trancha l’arrière du genou de son agresseur, qui émit un hurlement de bête blessée avant de s’écraser au sol.
Vif comme un chat, mon adversaire se releva d’un bond et j’en fis autant, l’arme au poing, bien décidé à en venir à bout malgré le sang qui s’écoulait à grands flots de ma senestre blessée. Le templier considéra la scène autour de lui et sembla hésiter entre
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