Le Baptême de Judas

s’empressa de faire. Enfin, il commanda à quelques soldats de faire le tour des adversaires qui gisaient sur le sol et de voir s’il s’en trouvait encore quelques-uns de vivants qui pourraient être interrogés. Sur ce point, il fut déçu. Même le prétendu messager qui nous avait guidés jusque dans le guet-apens était mort, la gorge transpercée de part en part.
    —    Putain de Dieu, grommela des Barres, mi-figue, mi-raisin, en secouant ses chausses couvertes d’une boue mouillée de sang, c’est bien la première fois que je regrette l’efficacité de mes hommes. Je n’aurais pas détesté questionner un ou deux de ces mécréants.
    Tout le monde fut bientôt au travail, sauf Guy de Montfort, qui se tenait un peu à l’écart, pâle comme un mort, le torse enveloppé de ses bras telle une femme impressionnée. Je ne pus m’empêcher de lui adresser un regard méprisant qui lui fit détourner la tête. Une fois de plus, je me dis que son père devait en avoir bien honte.
    Guillaume me tira de ma contemplation pour me prendre à part. L’air sceptique, il me dévisagea longuement avant de parler.
    —    Étrange aventure que celle que nous venons de vivre, tu ne trouves pas ? s’enquit-il en relevant le sourcil.
    —    Disons qu’elle était inattendue, répondis-je.
    —    Et naturellement, tu ignores de quoi il retourne ?
    —    Naturellement.
    —    Mais même s’il en allait autrement, tu te garderais bien de me le dire.
    Je haussai les épaules en ricanant.
    —    Pourrais-tu m’en blâmer ?
    —    Non, ce serait de bonne guerre. Notre respect mutuel ne change rien au fait que nous sommes dans des camps opposés. Tôt ou tard, nous devrons agir en conséquence. Ceci dit, les choses me semblent déjà fort claires.
    —    Alors tes lumières ne seraient pas de refus, car je t’avoue que je suis dans le noir.
    Il me posa la main sur le bras et m’entraîna dans une lente marche. Je le suivis en blottissant ma main blessée contre ma poitrine pour prévenir les douloureux élancements qui y prenaient racine.
    —    Pour les fins de la discussion, je vais prétendre croire à ton ignorance et te dire ce que j’ai vu, reprit-il.
    Il resta un moment silencieux, rassemblant ses idées. Nous fîmes quelques pas avant qu’il ne reprenne.
    —    Pour être placés en travers du chemin et nous isoler du gros des troupes, les arbres avaient forcément été entaillés d’avance. On les a simplement fait basculer après notre passage. Nos agresseurs étaient tapis dans le bois, bien armés et prêts à frapper. Je parierais que même la rivière qui coupait la route avait été volontairement détournée. Tout avait été soigneusement planifié.
    —    On appelle cela une embuscade, mon pauvre ami.
    —    M’est avis qu’on souhaitait surtout en donner l’impression. À preuve : les marchands et leurs charrettes de victuailles étaient isolés de l’autre côté des arbres tombés et ils n’ont pas été inquiétés. Si on avait voulu détrousser le convoi, c’est à eux qu’on se serait attaqué, pas à nous. L’intention des brigands était donc tout autre.
    —    Je t’écoute.
    —    Lorsque j’ai vu la façon dont l’attaque se déployait, je me suis dit qu’on tentait de vous libérer, tes compagnons et toi. Après tout, la chose était prévisible. Tu es le Magister des Neuf de Montségur et, aux yeux de plusieurs, ta personne est précieuse. Celle de tes compagnons aussi. Et puis, si j’étais à leur place et que je voulais reprendre le suaire, c’est maintenant que je le ferais, pendant qu’il est vulnérable. Une fois à Carcassonne, bien malin celui qui pourra s’en emparer. Le nombre des assaillants, ajouté à l’effet de surprise et au fait qu’on nous avait isolés du reste des troupes, permettait d’y arriver. Il leur suffisait de frapper vite et de repartir sans délai avec leur butin.
    Il se passa une main dans les cheveux puis se frotta la barbe, songeur.
    —    Sauf que l’hypothèse ne résiste pas à l’examen.
    —    Ah ?
    —    Tu as certainement constaté, comme moi, que ces hommes étaient des amateurs. Même à nombre égal, ils n’avaient aucune chance contre mes soldats. Or, si leur but était de vous libérer et de reprendre la seconde part, je m’explique mal qu’ils n’aient pas su à qui ils avaient affaire.
    Il s’arrêta et me fouilla des yeux.
    —    Par