Le Baptême de Judas
là.
Fatigués par le combat qu’ils avaient dû livrer, les hommes montèrent le camp à la hâte et allumèrent les feux. Quelques villageois nous distribuèrent du pain, du fromage et du jambon. Ils étaient heureux de toucher les sommes que Guillaume avait ordonné qu’on leur versât pour leurs denrées. Pour souligner la victoire et se rallier tous les hommes, il fit aussi distribuer à tous du vin qu’il paya de sa bourse, ce qui lui valut quelques vivats bien sentis auxquels il répondit avec un sourire satisfait et un geste amical de la main. Encore une fois, j’admirai la façon qu’il avait d’asseoir son ascendant sur ses troupes en les traitant correctement. Ils ne faisaient pas que respecter le comte de Chalons ; ils l’aimaient et j’avais pu observer, le jour même, la ferveur avec laquelle ils combattaient à ses côtés.
Les réjouissances furent enthousiastes, mais raisonnables et brèves. J’y assistai de loin, enchaîné à mon garde, qui maugréait de ne pouvoir y prendre part. Puis Nantier vint vers moi et, sans rien dire, retira le bracelet de l’infortuné soldat et me le remit au poignet gauche. Il empoigna ma chaîne et me releva. Je grimaçai lorsque le métal tira sur ma plaie.
— Tu aurais perdu une jambe que je te ferais marcher sur ton moignon, grommela-t-il en remarquant mon inconfort.
Accompagné de quatre autres hommes, il me tira vers un petit appentis d’apparence robuste, un peu à l’écart de la place du village. En l’approchant, je compris qu’un artisan, sans doute un forgeron ou un maréchal-ferrant, y installerait sa boutique dès que la cheminée serait terminée. En attendant, les pierres dont elle serait fabriquée étaient empilées sur le sol. Pour le reste, l’endroit ne comportait qu’une porte bien solide et une petite fenêtre dont les volets étaient fermés. Des Barres l’avait réquisitionné pour m’y garder en sécurité. Au vu des événements de la journée, la chose était justifiée. Lorsque nous y fûmes parvenus, un des soldats ouvrit la porte et Nantier me poussa brusquement à l’intérieur. J’atterris sur le sol sec et poussiéreux.
— En voilà des manières ! lui reprochai-je pour le faire enrager. Rustre !
— Ferme ta gueule, gronda-t-il, planté dans l’embrasure. Et ne t’avise pas de jouer au plus fin. Nous sommes cinq dehors, à veiller sur ta petite personne, et chacun de nous se fera un plaisir de t’écharper si tu nous en donnes la moindre excuse.
— Tu ne vas pas me chanter une berceuse pour m’endormir ? insistai-je.
Pour toute réponse, il claqua la porte et la verrouilla. Je me retrouvai dans le noir.
— Ho ! Tu ne me laisses rien à manger, malappris ? Je vais me plaindre à monsieur le comte de Chalons !
Je riais de bon cœur, seul dans ma cabane, lorsqu’un bruit de chaînes me fit sursauter.
— Si ça peut te faire cesser de crier, je vais te la chanter, moi, ta berceuse, espèce de râleur, lança une voix.
La surprise passée, je me remis à rire de plus belle.
— Si ta voix n’est pas mieux que ta face, il est préférable de te taire, répliquai-je à Ugolin. Tu ferais peur aux enfants du village et les mères t’en voudraient.
— Qu’en sais-tu ? Peut-être que je chante comme un rossignol.
— Alors fais-toi plaisir et demande au petit Montfort de t’accompagner au luth. On ne sait jamais comment votre relation pourrait évoluer.
— Peuh ! Si j’en ai l’occasion, je lui écraserai les bijoux et je te jure que c’est lui qui chantera.
— Où est Pernelle ? demandai-je.
— Ici, à vous écouter dire des âneries, fit la voix exaspérée de mon amie. Parfois, je me dis qu’il doit exister un organe de l’humour que je ne connais pas et que, chez l’homme, il est situé quelque part près des génitoires.
Je déterminai que le colosse était à ma gauche et mon amie, à ma droite. Une main me toucha délicatement l’épaule et glissa le long de mon bras gauche jusqu’à ma main.
— Elle te fait mal ? s’enquit mon amie.
— J’ai eu pire.
Dans le noir, elle défit les bandages et tâta la blessure de ses doigts experts, qui voyaient aussi bien que ses yeux.
— La plaie semble se refermer et n’est pas trop chaude. Tout ira bien. Si seulement j’avais mon coffre, j’y remettrais de la pommade.
Pernelle me remit mon bandage.
— Ils ont laissé une
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