Le Baptême de Judas
l’enrichissement facile étant de puissantes motivations, ils brûlaient de les retrouver.
Autour de nous, l’excitation devenait palpable, les rires se faisaient plus gras, les blagues plus vulgaires. De temps à autre, le soir autour des feux, des bagarres éclataient, trahissant la tension grandissante. Je plaignais le village innocent sur lequel ces hommes seraient lâchés comme une meute de bêtes sauvages. J’avais vu trop de fois ce que les croisés pouvaient faire à leurs semblables. J’y avais même participé. J’avais moi-même massacré hommes, femmes, enfants et vieillards à Béziers. J’avais retourné cette violence contre les troupes du pape à compter du moment où je m’étais retrouvé à Cabaret. J’avais fait des choses bien pires que ce que la plupart des hommes qui m’entouraient commettraient dans quelque temps. Je les avais faites dès Rossal, sans aucune autre raison que ma colère. J’étais mille fois plus coupable qu’eux. Je n’avais aucun droit de les juger. Malgré l’absolution d’un pape trônant sur une fausse Église, ils étaient peut-être en passe de damner leur âme, mais j’avais déjà perdu la mienne.
Après une longue journée de chevauchée, la tension trouva finalement son exutoire. Sur le chemin, au loin, deux silhouettes sombres marchaient côte à côte. Je reconnus aussitôt deux Parfaits vêtus de leur robe noire et d’un chapeau à larges rebords de la même couleur, un cordon à la taille. Malgré le danger de la croisade, ils parcouraient les routes pour prêcher de village en village, conférer le consolamentum à ceux qui le demandaient, soigner les malades et convertir ceux qui étaient sensibles à leur message. Pernelle les aperçut, elle aussi.
— Ils vont mourir, murmura-t-elle calmement.
Elle avait raison, évidemment. Avec leur assurance tranquille, leur foi solide et leur comportement digne et modeste, les Parfaits étaient le symbole de l’hérésie. Ils représentaient tout ce que l’Église chrétienne cherchait à déraciner des terres du Sud. Ils furent encerclés par des soldats, saisis et ramenés à des Barres. Je n’avais pas besoin de me poser la question. Je savais qu’en chef expérimenté, Guillaume était conscient du besoin de donner de la viande fraîche aux fauves s’il voulait maintenir son contrôle sur eux.
À leur vue, Guillot, qui n’avait été l’objet d’aucune attention depuis un bon moment, s’enflamma. Il descendit de cheval avec une agilité que je ne lui connaissais pas et se dandina vers les Parfaits avec détermination, bible en main. Dès qu’il fut devant eux, il brandit le livre saint.
— Hérétiques ! s’écria-t-il sans préambule. Confessez vos erreurs et revenez à la seule vraie foi !
Les deux hommes se consultèrent du regard et le plus vieux parla pour les deux.
— Je connais déjà la vraie foi, déclara-t-il d’un ton dénué d’émotion.
— Ne sais-tu pas que nous brûlons les impies comme toi ? rétorqua le moine.
— Je le sais, et je n’en ai cure. La chair est une prison. Quiconque m’aidera à m’en échapper aura droit à mes remerciements.
— Toi, par contre, on dirait que la chair t’importe, ajouta ironiquement le jeune Parfait en toisant la panse de Guillot.
Outré, le moine s’approcha de l’impertinent et lui administra un solide coup de bible au visage. L’autre ne broncha pas et persista à le regarder droit dans les yeux, sans la moindre crainte. Puis, frémissant de colère, le moine consulta Guillaume du regard.
— Ne t’imagine pas que nous allons perdre du temps à faire un bûcher, déclara celui-ci.
Déçu, Guillot se trémoussa sur place.
— Sire, ces hérétiques ne doivent pas vivre, plaida-t-il. Ce serait insulter Dieu lui-même.
— Alors trouve un moyen de l’apaiser rapidement.
Dans les rangs, les soldats se mirent à s’agiter, excités par la possibilité d’un supplice. D’expérience, je savais que les croisés ne tarissaient pas d’imagination quand venait le temps d’infliger des sévices aux Parfaits. Guillot avisa Pierrepont et, d’un geste gracieux de la tête, l’invita à le rejoindre. Alain ne se fit pas prier et descendit de cheval. Thury et Guiburge en firent autant et, ensemble, ils s’en furent rejoindre le moine.
— Ces hérétiques doivent payer pour leur sacrilège ! s’écria ce dernier.
— J’en conviens, dit
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