Le Baptême de Judas

les regardai s’enfuir sans que personne ne leur prête la moindre attention. Autour, les chevaux couraient toujours, paniqués. Il faudrait encore plusieurs minutes pour rétablir le calme dans le camp. Assez pour que mes amis disparaissent.
    —    À bonne fin. soupirai-je, peu convaincu que c’était là le sort qui m’attendait.
    Je me rassis près des braises de notre feu et j’attendis qu’on réalise que deux des prisonniers s’étaient enfuis. Malgré mon tourment, j’éprouvais une satisfaction perverse à l’idée que je venais de contrecarrer, ne fût-ce qu’un peu, les plans de Montfort. La maudite chiure me le ferait sans doute payer cher, mais j’accepterais la punition avec plaisir si elle signifiait qu’il ne toucherait plus jamais à Pernelle.
    Même si les Neuf intervenaient, je finirais par aboutir à Carcassonne. Là, j’offrirais ma vie en échange de celle de Cécile, en espérant que Montfort ait deux sous d’honneur.
    Une demi-heure plus tard, Guillaume des Barres se tenait devant moi. Les poings sur les hanches et l’air fort contrarié. Il vrillait sur moi des yeux remplis d’une colère difficilement contenue. Sa mâchoire était si serrée par la rage que les muscles saillaient sur les côtés. Je sentais sans peine que seule sa nature de gentilhomme l’empêchait de se jeter sur moi pour me rouer de coups. Pierrepont, Thury et Guy de Montfort l’entouraient, arborant tous l’air de celui qui vient d’avaler un plein gobelet de vinaigre. Assis près du soldat qui avait repris conscience et qui frottait sa nuque douloureuse, j’attendis qu’on m’adresse la parole.
    —    Le gros cathare et la Parfaite ont disparu, déclara Guillaume d’un ton agacé.
    —    On dirait bien que oui, répondis-je avec un petit sourire en coin.
    —    Tu en sembles fort aise.
    —    Je mentirais si j’affirmais le contraire. Mets-toi à ma place.
    —    Et je présume que tu n’as aucune idée d’où ils sont allés ?
    Je haussai les épaules et les sourcils dans la plus belle parodie d’innocence.
    —    Aucune. J’ai été réveillé par le bruit des chevaux et ils étaient déjà partis. De toute évidence, ton soldat s’est fait prendre par surprise et quelqu’un l’a rossé. Si j’étais toi, je punirais sévèrement cet incapable.
    Guillaume lança un regard sans équivoque vers le soldat, qui détourna le visage. Puis il reporta son attention sur moi.
    —    Quelque chose me dit qu’en ce moment même ils sont en route vers Montségur.
    —    Qui sait ? Peut-être.
    —    Tant pis pour toi. Car rien n’est changé. Tu devras quand même trouver un moyen de rapporter la première part à Simon, sinon dame Cécile de Foix mourra et ton bâtard ne verra jamais la lumière du jour. Ta tâche sera seulement rendue plus difficile si les Neuf du Sud en sont avertis.
    —    J’en ai pleinement conscience, ne crains rien, répondis-je en perdant un peu de ma superbe.
    Lambert de Thury avança vers moi en faisant craquer ses jointures, l’air menaçant.
    —    Donnez-moi quelques minutes seul avec lui et je vous promets qu’il nous serinera la vérité comme un oisillon qui piaille après sa mère, gronda-t-il.
    —    Laisse, répondit Guillaume en tendant le bras pour le retenir. Si tu avais l’esprit un peu plus fin, tu saurais que cet homme n’est pas du genre à céder sous la torture. Il suffit d’aviser la cicatrice qu’il porte autour du cou pour le savoir. Il mourrait en te riant à la face.
    —    Il sera sans doute moins glorieux quand on s’occupera de sa petite Toulousaine devant lui.
    —    Certes, mais il sera quand même trop tard pour rattraper ses compagnons.
    Je frissonnai à l’idée qu’on pourrait faire du mal à Cécile pour me tirer les vers du nez. Thury était plus fin que Chalons ne lui en faisait crédit. Effectivement, je leur dirais tout plutôt que de la voir souffrir. Mais qu’y avait-il à avouer qu’ils ne soupçonnaient pas déjà ?
    Je ne tins aucun compte de Thury, ce qui indisposa fort le personnage, habitué à plus d’égards, et m’adressai directement à des Barres.
    —    Comme tu dois me mener à ton demi-frère en un seul morceau, tu serais malvenu de me faire torturer. Par contre, dis-je pour détourner la conversation, si tu décidais de me faire enculer à répétition par ce fot-en-cul, dis-je en désignant Guy, j’avouerais n’importe quoi.
    Les autres