Le Baptême de Judas
Neuf n’avaient pas pu intervenir pour sauver la seconde part et me libérer. Peut-être aussi avaient-ils jugé bon de ne pas le faire. Ou peut-être Ugolin et Pernelle n’étaient-ils pas arrivés à les rejoindre.
Le soleil était à sa méridienne et, dans l’air sec et clair d’avril, la cité, encore dénuée de verdure, était néanmoins d’une beauté à couper le souffle. Elle semblait sortir tout droit d’un conte de fées ou d’un passé lointain et mythique. Elle dégageait l’impression d’existence tranquille de ces endroits très anciens qui ont traversé les tourmentes et qui seront encore là dans mille ans. Même si nous étions à presque une lieue de distance, je pouvais apercevoir la haute muraille crénelée et parsemée à intervalles réguliers de tours de guet. Elle encerclait des maisons pâles aux toits ocre, alignées le long des rues. Un peu partout, des gens s’affairaient. Peu importe qui la domine, une ville marchande ne peut interrompre les activités dont dépend sa prospérité, et celle-ci ne faisait pas exception. Maître de Carcassonne, Simon de Montfort ne s’en plaindrait certes pas, puisqu’un commerce actif lui rapportait de rondelettes taxes. Le fourbe n’était pas idiot. Il pouvait bien assassiner et détruire au nom de sa foi, il ne négligeait pas pour autant ses goussets.
Çà et là, je devinais des places bordées d’arbres. Sur la droite, près des murs, je pouvais identifier une église et un château. À vue de nez, la cité devait abriter trois ou quatre mille habitants. J’avais du mal à accepter qu’un endroit aussi beau soit le repaire d’un être aussi malfaisant que Simon de Montfort. L’espace d’un moment, je regrettai que Pernelle et Ugolin ne soient pas à mes côtés pour profiter du spectacle. En même temps, la vue de la ville me serrait le ventre. Là, derrière ces murailles, se trouvait
Cécile, seule et effrayée. La malheureuse comptait sans doute sur moi pour la libérer. Y arriverais-je ? Je ne pouvais le dire.
Sous peu, le sort de la Vérité se jouerait et, avec lui, celui de mon âme. Etrangement, cela m’émouvait peu. J’acceptais le fait que, même si je tentais l’impossible, je pouvais me retrouver en enfer. Si mon cœur battait plus vite et plus fort, c’était plutôt à la pensée de ma douce et tendre Cécile, qui se trouvait là et que je reverrais bientôt. Peut-être aurais-je le privilège de la serrer dans mes bras et de sentir à nouveau l’odeur de sa peau et de ses cheveux ? Peut-être serais-je même autorisé à l’embrasser tendrement ? Non, Montfort ne m’accorderait pas ce bref moment de bonheur. Au mieux, il me la montrerait de loin, mais ce serait déjà mille fois mieux que rien. Le seul fait d’imaginer le beau ventre plat que j’aimais tant, maintenant gonflé par la vie, faisait monter l’émotion dans ma gorge et mouillait mes yeux malgré moi. À moins qu’on m’ait cruellement menti, la chair de ma chair était presque à portée de main. Pour un damné, voué jusqu’à nouvel ordre à la géhenne éternelle, c’était là une grande consolation. Et je ne devais en aucun cas la compromettre. L’enfant à naître serait le pied de nez que j’adresserais à mon Créateur.
Lorsque nous fûmes en vue de la ville, des Barres ordonna que soit déployé son étendard, et c’est précédé du blason à losanges jaunes et rouges que l’escadron franchit la distance qui le séparait encore de Carcassonne. Je sentis la fébrilité s’emparer des soldats à l’approche du combat et du pillage dont ils rêvaient depuis leur départ.
Nous franchîmes les champs qui nous séparaient de la cité, traversâmes le pont de solide maçonnerie qui enjambait l’Aude, puis gravîmes la petite butte sur laquelle elle trônait. Je notai que, de cette position enviable, Carcassonne dominait la vallée. Il suffisait d’observer un peu les environs pour repérer les traces du passage de Montfort. Au nord-est et au sud-est, les bourgs, jadis protégés par des remparts de pierre qui venaient s’appuyer à la muraille, avaient été rasés lors des trois années de siège menées par les croisés. Il n’en restait maintenant que des ruines qui juraient avec la magnificence du paysage et constituaient un rappel permanent de la situation désespérée dans laquelle se trouvait le Sud.
En chevauchant, je me remémorais ma promenade avec Pernelle dans les rues de Minerve, alors que je me
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