Le Baptême de Judas
déverrouillai mon collier de fer et tâtai ma face. J’y trouvai plusieurs enflures douloureuses, mais rien qui aurait nécessité les services de Pernelle. Les coins de mes lèvres me faisaient souffrir, mais ne saignaient plus. Rassuré, je couvris les cendres de terre avec mes pieds pour les éteindre. Je retrouvai l’outre et me rinçai le visage et les cheveux. Puis je m’occupai de Sauvage. La bagarre l’avait rendu nerveux et je dus le calmer en lui soufflant dans les naseaux. Lorsque j’y fus parvenu, je me mis en selle, laissai derrière moi le cadavre d’un autre de mes supposés frères et repartis vers Montségur.
Ma route fut parsemée de questionnements. Véran ne s’était pas donné la mort pour rien. Il avait voulu protéger quelque chose d’assez important pour mériter un tel geste. Ma mort ne changera rien , avait-il déclaré avec une parfaite sérénité, alors qu’il croyait son heure arrivée. Tu participes à un vaste tournoi dont tu ignores les règles et l’enjeu. Ses propos me confirmaient que quelqu’un d’autre, à part les Neuf et les hommes du pape, tournait autour de la Vérité et souhaitait qu’elle périsse. Mais qui ? Les Neuf de Gisors existaient-ils encore ? Dans une clandestinité encore plus opaque qu’avant ? Cherchaient-ils toujours à mener à bien leur mission en m’empêchant de livrer la première part ? Le templier inconnu, qui demeurait ma seule piste, en faisait-il partie ? Après tout, son accent révélait qu’il était du Nord. Mais il m’avait intimé de livrer les documents, pas de les préserver. La vraie fidélité exige parfois la trahison, avait aussi dit Véran, dans ma cellule . Parfois, aussi, les serments se contredisent et imposent un choix. Savait-il des choses que j’ignorais ? Après tout, il avait été l’homme de confiance de sire Ravier. Ce statut lui avait-il donné accès à des connaissances réservées à un cercle restreint ? Si oui, desquelles pouvait-il bien s’agir ? Qu’y avait-il à savoir qui soit plus important que la nature de la Vérité ? Et comment cela expliquait-il qu’il soit passé dans le camp des croisés ?
Personne n’aime savoir qu’il affronte un ennemi qu’il ne connaît pas et qu’il ne peut voir. Or, c’était la position dans laquelle je me trouvais. J’en avais plus qu’assez des mystères et des paraboles. J’étais las de chercher, de me retrouver sans cesse devant des choix que j’étais inapte à faire, d’être perpétuellement manipulé et utilisé.
Rien n’avait changé. La seule solution qui s’offrait à moi se trouvait toujours derrière les murailles de Montségur. Au grand plaisir de Sauvage, je chevauchai aussi vite qu’il était possible sans risquer qu’il ne se casse une patte en trébuchant sur une pierre. À mesure que nous redescendions, le chemin se faisant plus large et plus sûr, je lui accordai même quelques galops bien sentis. Le soleil était déjà à sa méridienne quand nous arrivâmes dans la vallée boisée qui annonçait la forteresse. Quelques heures plus tard, j’aperçus enfin, à l’horizon, le piton rocheux à nul autre pareil, au sommet duquel s’accrochait l’imprenable forteresse de Montségur. C’était là, derrière ces murs, que ma vie avait changé et que j’avais trouvé la voie de la Vérité. C’était là, aussi, que je risquais de la perdre. La boucle était bouclée.
Il était hors de question de m’approcher en plein jour. Après ma réception au sein des Neuf, alors que le monde que j’avais connu s’effondrait autour de moi, j’avais assez erré sur le chemin de ronde des remparts pour savoir qu’on y avait vue sur des lieues à l’horizon. Lorsque j’étais venu à Montségur la première fois, en compagnie de dame Esclarmonde, de Montbard, d’Eudes et de Raynal, alors que nous rapportions le cadavre de sire Drogon, Humbert n’était-il pas venu de lui-même à notre rencontre avec une escorte ? On m’apercevrait de loin et on donnerait l’alarme. Je ne doutais pas que, hormis la mort, rien n’aurait pu empêcher Ugolin et Pernelle d’atteindre Montségur. J’espérais qu’ils avaient alerté les Neuf. Mais j’ignorais quelle serait leur réaction à ce qu’ils apprendraient. Mes frères et sœurs de l’Ordre avaient juré de faire passer la Vérité avant la vie de ceux qui la protégeaient. Même à la lumière de la trahison de Véran, je croyais encore à leur fidélité et je ne pouvais
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