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Le Baptême de Judas

Le Baptême de Judas

Titel: Le Baptême de Judas Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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les épaules.
    —    Ouvre la bouche.
    Je me retournai pour le dévisager, sachant ce qu’il entendait faire.
    —    Est-ce vraiment nécessaire ?
    —    Ugolin pourrait être tout près d’ici, à ta recherche, rétorqua-t-il. Je ne t’aiderai pas à l’alerter.
    Soupirant de frustration, j’ouvris la bouche et il y passa le câble pour en faire un bâillon. Puis le serra autour du tronc et termina avec quelques bons nœuds. Sa tâche achevée, il me contourna, ramassa son morceau de pain et mangea à son tour sans me regarder.
    Je savais pertinemment qu’Ugolin ne nous suivait pas. Il était trop loyal pour cela. Je lui avais ordonné de mettre Pernelle en sécurité et je ne doutais pas qu’il m’ait obéi.
    —    Demain, avant d’arriver à Montségur, je devrai te libérer, annonça Véran, songeur. Nous donnerons l’impression que je reviens légitimement au bercail avec un messager dont j’ai fait mon compagnon de route. Lorsque tu seras sans entrave, rappelle-toi l’avertissement de Montfort. Si tu tentes quoi que ce soit et que je ne reviens pas à Carcassonne d’ici vingt jours, dame Cécile mourra. Et ce n’est vraiment pas nécessaire. La belle est étrangère à toute cette histoire, nous le savons tous les deux. Nous nous entendons ?
    Je hochai la tête pour lui signifier que j’avais compris.
    —    Bien.
    Il s’étendit, sa dague dans la main, et s’enveloppa dans sa couverture.
    Le sentiment d’urgence aidant, je n’eus pas à lutter contre le sommeil. Toute mon attention était consacrée à ronger la corde qui me déchirait les commissures des lèvres. En voulant m’empêcher de donner l’alerte, Véran avait commis une grave erreur. Il me fournissait une chance de reprendre un peu le contrôle des événements depuis Gisors. Je ne devais pas la manquer. L’enjeu était trop grand.
    Dès qu’il fut endormi, je me mis à mordre de toutes mes forces dans le chanvre du câble. Faisant aller furieusement ma mâchoire dans tous les sens, sectionnant une à une les fibres détrempées et ramollies par ma salive, je grugeai pendant des heures, sans relâche. Je progressais avec une éprouvante lenteur, retenant avec peine les toussotements provoqués par les bouts de fibres qui me tombaient dans la bouche et que j’avalais malgré moi. Je connaissais les Templiers. J’avais été formé par l’un d’eux. Je savais, mieux que quiconque, qu’ils ne dormaient que sur une oreille. Au moindre bruit suspect, Véran s’éveillerait, même s’il n’en montrait aucun signe. L’effet de surprise sur lequel je comptais me glisserait entre les doigts comme des grains de sable.
    Telle une vache dans un pré, je mâchai et rongeai jusqu’à ce que les muscles de ma mâchoire soient en feu. J’aurais vendu mon âme au diable pour une gorgée d’eau. Quand une de mes dents émit un craquement sec et se fendit en deux, je réprimai un grognement de douleur. Je me remis à la tâche de plus belle, faisant fi des élancements qui me faisaient monter les larmes aux yeux. Au cours de mes deux vies, j’avais enduré ma part de coups et de blessures. J’avais connu la douleur et survécu à la maladie. On m’avait même décapité et fiché un carreau d’arbalète dans la cervelle. Malgré tout cela, je découvrais de nouvelles nuances à la souffrance. Les nerfs de mon cou et de mes épaules étaient tendus comme le câble d’un mangonneau. Maintes fois, j’interrompis mes efforts alors que Véran bougeait ou marmonnait, pour ne les reprendre que lorsqu’il avait replongé dans le sommeil. Je profitai de ces brefs moments de répit pour retrouver mon souffle avant de recommencer de plus belle.
    Les heures passaient et, petit à petit, le câble s’amincissait. Après ce qui me sembla une éternité, il ne tint plus que par quelques fils. Aussi impatient que meurtri, j’étirai le cou de toutes mes forces et cassai ce qui restait. Les deux bouts me tombèrent sur les épaules. Avec une lenteur infinie, je me mis à me tortiller pour me libérer. À force de petits mouvements brusques, mais prudents, je parvins à ramener les bras vers l’avant. Quelques minutes de plus et j’étais entièrement dégagé.
    La commissure des lèvres ensanglantée, la langue râpée, le souffle court, je restai adossé au tronc, immobile, attendant de voir si Véran, qui me tournait le dos, enroulé dans sa couverture, montrait des signes d’alerte. Dans la lumière trop faible des

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