Le Baptême de Judas
présumer que leur réaction me serait favorable. Si elle ne l’était pas, je ne survirais pas une heure dans la forteresse. L’enjeu était bien trop grand pour courir le risque d’être pris.
Ma seule option était de m’emparer d’abord de la Vérité. Ensuite, si cela était possible, je prendrais le pouls de la situation et je verrais si je pouvais compter sur l’aide des autres. Sinon, je tenterais de préserver seul la vie de Cécile et les documents.
Je décidai donc d’attendre la nuit. J’avais un urgent besoin de repos et, pour la première fois depuis mon départ de Gisors, je pressentais que mon sommeil ne serait pas troublé. Je mis pied à terre et tirai Sauvage dans les bois. Lorsque nous fûmes assez loin pour ne pas être vus, j’attachai ses rênes à une branche basse, pris l’outre, creusai un trou dans la terre avec mon talon et y versai de l’eau que la brave bête se mit à laper.
— Je suis désolé, vieil ami, lui dis-je en lui caressant la crinière. Je n’ai pas de nourriture à t’offrir.
Je m’assis et bus le reste de l’eau en admirant mon étalon. Il m’accompagnait depuis si longtemps. Je m’allongeai, la nuque appuyée sur une souche, et m’endormis aussitôt. Aucun rêve ne troubla mon sommeil.
Il faisait encore nuit lorsqu’un craquement me fit sursauter. Je me retrouvai aussitôt assis, aux aguets, la main sur mon épée. Retenant mon souffle, je ne bougeai pas. La nuit était noire et je ne voyais pas grand-chose dans la faible lumière que m’accordait le quartier de lune. Près de moi, je pouvais apercevoir la silhouette de Sauvage, qui dormait tranquillement debout en dodelinant de la tête. Il ne semblait pas avoir été dérangé. J’avais peut-être rêvé. J’attendis encore longtemps sans que rien d’autre ne vienne confirmer mes soupçons et je m’autorisai à me détendre.
Je me rendis auprès de Sauvage, qui s’ébroua en s’éveillant et fourra ses naseaux dans le creux de mon cou, comme il le faisait depuis que j’étais jeune garçon.
— Moi aussi, je t’aime, ricanai-je. Tu vas m’attendre ici. Compris ? Je reviendrai te prendre.
Je sortis du bois et me mis en marche. La route m’était familière et, en deux heures, je me retrouvai au pied de la forteresse. Je me cassai le cou pour l’admirer une nouvelle fois, solide et menaçante, perchée au sommet de son piton à plus de six cents toises au-dessus de la vallée. Elle semblait s’accrocher à l’encontre des lois de la Création. Dans la lumière de la lune, elle avait une allure sinistre, presque hantée, qui aurait fait fuir bien des croisés superstitieux.
Sans attendre, je m’engageai dans l’étroit sentier boisé qui menait à la forteresse. Il me fallut deux autres heures pour le gravir et atteindre ma destination, le vent glacial faisant claquer ma capeline sur mon corps.
En route, j’avais eu le temps de planifier mon arrivée et je n’avais aucune intention de passer par la grande porte. Je savais qu’il existait une façon d’entrer dans la forteresse sans être vu. Il me restait à en trouver l’emplacement. Dès que la lourde porte de la forteresse fut en vue, je bifurquai parmi les rochers pour m’y perdre et me mis à contourner lentement la muraille, cherchant de loin ce que je souhaitais repérer.
La voie que j’avais choisie serait répugnante, mais le sacrifice en valait la peine. Après tout, j’avais passé les dernières années à me rouler dans la fange. Un peu plus ne changerait pas grandchose.
Chapitre 11 Larcin
A pas de loup, je fis lentement le tour de la forteresse, me déplaçant dans la nuit avec une prudence et une discrétion dont Bertrand de Montbard eût été fier. Des gardes circulaient régulièrement sur le chemin de ronde et le vent faisait parfois voler des bribes de leurs conversations jusqu’à moi. Ils semblaient détendus, ce qui faisait mon affaire. Des sentinelles trop vigilantes auraient compliqué ma tâche d’autant. Je m’assurai de rester tapi entre les rochers pour que ma silhouette se confonde avec le relief et que mes mouvements n’attirent pas leur attention.
Pour qui la connaissait bien, Montségur n’était pas aussi impénétrable qu’on aimait à le dire. Même les familles fondatrices, pourtant si habiles à aménager des caches, n’étaient pas infaillibles. Aucune construction n’est parfaite et celle-ci, malgré sa puissance, présentait au moins un accès que personne ne
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