Le Baptême de Judas
braises, je guettai la moindre tension dans ses épaules, un mouvement des bras ou de la tête. J’écoutai longuement son souffle, qui était celui, régulier, d’un homme profondément endormi. Malgré tout cela, je n’étais pas tranquille. J’avais souvent vu Bertrand de Montbard feindre le sommeil à la perfection, seulement pour bondir sans prévenir et terrasser son agresseur. Je ne doutais aucunement que Véran pût en faire autant. Heureusement, j’avais aussi appris de mon maître comment me mouvoir comme une ombre dans la nuit.
« Maître, où que vous soyez, si vous pouvez venir en aide à votre indigne apprenti, le moment serait bien choisi », implorai-je silencieusement, en espérant que Montbard m’entende. N’oublie pas ton vieux maître d’armes, jouvenceau, me répondit sa voix puissante et graveleuse, sortie tout droit d’un songe déjà ancien. Mon enseignement n’est pas terminé. Ce que j’étais est en toi et le restera pour toujours. Jamais je n’avais tant espéré qu’il ait dit vrai. L’ultime portion de ma destinée commençait maintenant.
Le combat exigeait le détachement et la sérénité. Je pris quelques grandes inspirations pour me calmer puis, une poussière à la fois, je m’accroupis. J’attendis quelques minutes de plus sans que rien ne se produise. Avec une infinie prudence, je me mis debout. Toujours rien. Posant le pied droit devant moi, j’y transférai doucement mon poids. Une brindille émit un craquement et je me figeai sur place en maudissant la pénombre qui m’empêchait de voir clairement le sol devant moi. Véran bredouilla quelques mots incompréhensibles et ajusta impatiemment sa couverture sous son nez.
Statufié, je patientai plusieurs minutes avant d’oser compléter ce premier pas. Il m’en restait une dizaine à faire avant d’atteindre le templier. Une fois là, je n’aurais qu’une chance de saisir sa dague. J’avais eu amplement l’occasion d’observer Véran à l’entraînement et son agilité m’était connue. Il était vif et habile comme un chat, aussi créatif qu’un magicien. Comme Jaume, il avait appris en Terre sainte comment combattre différemment des chrétiens, ce qui le rendait aussi insaisissable qu’un serpent. Il savait tuer de mille façons. Sa petite taille ne devait pas m’aveugler non plus. Si je ne calculais pas mon geste à la perfection, il m’enverrait en enfer en moins de deux. Littéralement.
Un pas à la fois, cruellement conscient de la pression de chacun de mes orteils dans la terre meuble, j’avançai. Quand je fus enfin près de Véran, je m’arrêtai pour évaluer mes chances. Sa couverture cachait sa dague, mais le contour de son bras droit m’indiquait la position de sa main et je savais qu’elle ne pouvait se trouver que tout près. La saisir du premier coup serait risqué et je ne profiterais pas d’une seconde chance. Je devrais absolument immobiliser Véran assez longtemps pour pouvoir tâtonner un peu s’il le fallait, ce qui ne serait pas une mince affaire avec une senestre inutile.
Comme s’il cherchait à me faciliter les choses, Véran choisit ce moment précis pour se retourner sur le ventre. Frapper dans le dos n’était guère noble et Montbard n’aurait pas été particulièrement fier de moi, mais dans les circonstances, je m’accommoderais des remords. La situation l’exigeait. J’attendis qu’un ronflement me confirme qu’il dormait, puis j’inspirai profondément et je fondis sur lui. J’atterris de tout mon poids à cheval sur son dos et pressai mon avant-bras gauche sur sa nuque, ma main ne servant pas à grand-chose. Il s’éveilla en sursaut, la bouche et le nez enfoncés dans la terre, et se mit aussitôt à se débattre comme un démon aspergé d’eau bénite. Peinant à le tenir plaqué au sol, j’arrachai la couverture de ma main droite et me mis à tâtonner, à la recherche de la dague. J’en sentis bientôt la lame et l’empoignai, m’entaillant les doigts au passage. Je la fis tournoyer dans les airs pour la rattraper par le manche, prêt à l’enfoncer à la base du crâne de Véran. Je devais en finir au plus vite.
Le templier profita de ce bref moment d’inattention pour s’arc-bouter, les coudes contre le sol, et pousser brusquement vers le haut. Déstabilisé, je fus projeté vers l’arrière et me retrouvai sur le dos. Je commençais à peine à me redresser qu’il s’était retourné et bondissait sur moi. Je tentai de
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