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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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paix. Citant Hésiode, s’appuyant sur les exégètes de Homère, il expliqua que la montagne Olympe telle qu’on pouvait la voir sous son éternel nuage n’était pas forcément le lieu physique où séjournaient les dieux.
    Maladresse insigne de traiter ainsi ce monarque éclairé en élève ignorant ! Autre maladresse de notre savant : il crut bon de se référer au défunt Démétrios de Phalère. Le malheureux Archimède, en piètre courtisan, avait tout bonnement oublié que le fondateur du Musée s’était opposé de toutes ses forces à la montée sur le trône de Philadelphe, et qu’il en avait été puni de mort.
    Le roi se fâcha tout rouge : qu’on le prenne pour un ignorant, passait encore ; mais qu’on évoquât son ennemi Démétrios… Archimède, affolé, vit sa mission diplomatique courir à l’échec et son ami Aristarque voué au bourreau. Le roi se calma enfin et dit :
    — Il n’y aura pas de procès. Le grand-prêtre et Cléanthe sont trop acharnés à la perte d’Aristarque. Ce serait pour lui la mort assurée. Je ne pourrai rien y faire, mais c’est sur moi que retombera l’opprobre d’avoir assassiné un homme de science. La rumeur prête tant de crimes aux monarques… Rends-toi auprès de cette mule têtue d’astronome et tente de le convaincre de se rétracter. Si tu y arrives, la paix reviendra au Musée. Sinon, tu l’emmèneras discrètement avec toi dans ton île. Prendre en charge ce vieil extravagant sera, pour ton maître, le prix de l’alliance qu’il me propose.
    Et le roi, heureux du bon tour qu’il allait jouer à son collègue Hiéron, qu’il méprisait, congédia Archimède en se frottant les mains. Le Sicilien sortit de cette audience tête basse. Il se sentait humilié. Pourtant, l’ingénieur en chef de Syracuse avait subi, dans le passé, mille et une rebuffades du tyran Hiéron, mais il était dans sa fonction de les souffrir. Cette fois, il avait eu en face de lui Ptolémée Philadelphe, le protecteur des arts et des sciences, qui ne lui avait demandé rien moins que trahir son pays, et inciter le plus hardi savant qu’il connaissait à renier toute une vie de travail, pour complaire à la tranquillité du royaume et de ses sujets.
    — Mais, Archimède, mes calculs sont exacts. Pourquoi dirais-je que je me suis trompé ?
    À près de quatre-vingts ans, Aristarque, cet Hercule de la science, n’avait rien perdu de sa candeur et de sa fougue. Et Archimède, qui n’en avait que trente-trois, se sentait le plus vieux et le plus rassis des deux. Il avait eu beau s’échiner à lui expliquer que cette rétractation ne serait que de pure forme et que cela ne changerait rien sur le fond, arguer que les hommes n’étaient pas encore assez mûrs pour accepter une telle nouvelle, rien n’y faisait. Aristarque ne comprenait qu’une chose : il était sûr de sa théorie. Toute autre contingence, sa vie même, ne comptait pas face à sa découverte.
    En revanche, le vieil astronome consentit à l’exil. Il en avait assez, dit-il, de « ces braillards de prêtres », « de ces crasseux de stoïciens » et, pardonnez-moi mon oncle, mais l’homme était encore vert, « de ces verges molles de grammairiens ». Un peu honteux du rôle qu’il jouait, mais soulagé et heureux que son vieux maître le suivît à Syracuse, Archimède vint rendre compte au roi de ce dénouement satisfaisant. En échange, Ptolémée assura l’ambassadeur sicilien de son indéfectible alliance avec Syracuse.
    Le lendemain, sur le pont du bateau qui devait le ramener chez lui, Archimède attendit Aristarque en vain. Enfin, un jeune esclave lui apporta un paquet : c’était une longue et lourde canne sculptée sur laquelle étaient gravées des équations d’or. Ce cadeau était accompagné d’un bref message signé de l’astronome : « Puisse le bâton d’Euclide t’apprendre à te tenir droit devant les princes et les puissants. »
    Nul ne sut jamais où Aristarque de Samos avait disparu. Certains prétendent qu’il se serait réfugié au cœur du désert égyptien, sous le soleil de la bourgade de Syène [3] . Son manuscrit de L’Hypothèse ne fut jamais recopié, mais la Bibliothèque conserve précieusement l’original, unique exemplaire de ce livre hardi, bien que jugé impie. Ptolémée Philadelphe, Cléanthe et Callimaque moururent peu de temps après. La première décision de Ptolémée III Evergète fut d’appeler Archimède pour devenir

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