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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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précepteur de son fils et bibliothécaire. Celui-ci refusa, mais recommanda pour le remplacer Ératosthène de Cyrène, philosophe, poète, historien, astronome, musicien et surtout inventeur de la géographie. Ce choix était le bon.
    Le nouveau bibliothécaire eut durant de longues années une correspondance assidue avec le savant de Syracuse. Un jour, il reçut un recueil intitulé La Méthode , où Archimède lui révélait le secret de ses découvertes. Accompagnait cette manière de testament, une vieille canne incrustée d’or. Le bâton d’Euclide ne pouvait mieux échoir qu’à cet homme dont le nom signifiait littéralement « la force de l’amour ».
    Quelque temps après, Ératosthène apprit comment était mort son ami sicilien. Depuis son retour d’Égypte, le savant s’était peu à peu détaché des affaires politiques. Plein du remords d’avoir failli à Aristarque, il ne cédait plus aux pressantes sollicitations du maître de Syracuse à détourner son art des recherches purement intellectuelles vers les objets sensibles, et de les appliquer par l’expérience vers des choses d’usage. Des choses d’usage guerrier, bien entendu. Hiéron avait beau menacer, supplier, rien n’y faisait.
    Archimède fit d’abord construire un planétarium, merveilleuse mécanique reproduisant avec exactitude les apparences des mouvements célestes selon l’hypothèse d’Aristarque. Puis il se mit en tête d’inventer un système de numération pouvant représenter des grandeurs auprès desquelles la myriade [4] n’est qu’un point. Et lui qui avait pour habitude de tracer ses démonstrations sur le sable des plages, il choisit le grain de sable comme élément de sa dernière démonstration. Combien y a-t-il de grains dans une poignée de sable ? Et sur la plage de Syracuse ? Et sur toutes les plages, et dans tous les déserts du monde ? Personne n’imaginait que l’on pût donner mesure à pareille démesure. Cependant, dans son traité L’Arénaire , son chef-d’œuvre, Archimède prouva que le sable n’échappait pas au nombre. Il se fit fort de compter les grains de sable qui rempliraient le cosmos tout entier. De façon à obtenir la plus grande quantité possible, il prêta au cosmos les folles dimensions que lui attribuait l’hypothèse d’Aristarque. Et quant au nombre considérable qu’il obtint, il prouva que ce n’était malgré tout qu’un point au regard de nombres plus grands encore, des nombres que seul un esprit singulier comme le sien était capable de concevoir.
    Sur le plan politique, l’ambassade à Alexandrie avait été un échec car, malgré leurs vagues promesses, Philadelphe, puis Evergète, en dignes émules d’Alexandre, se désintéressaient de tout ce qui se passait au ponant de la Méditerranée. Seul entre Rome et Carthage, Hiéron devait choisir. Hélas, il choisit Carthage. Durant trois ans, Syracuse fut assiégée par les Romains. Et malgré les machines de guerre inventées par Archimède, l’ennemi put envahir la cité.
    Ce fut le décurion Brutus qui, le premier, pénétra dans Syracuse en flammes. Enivré de sang et du mauvais vin qu’il avait bu pour se donner du courage, le soldat romain parcourait les rues de la ville, brandissant son glaive rougi à la recherche de nouvelles victimes. Mais les assiégés survivants s’étaient tous réfugiés dans le palais où Hiéron attendait la venue du général Marcellus pour lui remettre les clefs de la cité, espérant sa clémence. Par une poterne ouverte sur une petite grève, Brutus vit un vieillard assis qui traçait de mystérieux dessins sur le sable. Bien piètre proie pour le guerrier ! Un peu dégrisé par le vent de la mer, le soldat se dit que ce Grec pourrait faire un bon esclave précepteur de ses enfants, quand, riche de son butin, il retournerait à Rome fonder une famille. Il s’approcha.
    — Lève-toi et suis-moi, bonhomme, dit-il d’un ton rogue.
    Archimède ne leva même pas la tête et répondit :
    — Un instant, je te prie. Je crois que j’ai enfin trouvé.
    Fou de rage que ce vieux lui désobéisse, le décurion planta son glaive dans le dos d’Archimède. Le sang jaillit et inonda le sable, noyant les figures et les chiffres qui y étaient inscrits. Peut-être était-ce la réponse à l’hypothèse d’Aristarque de Samos.

Où Amrou s’essaie à l’ironie
    — Ce décurion était un imbécile, s’exclama Amrou. Mais pas pire que son général. À sa place,

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